La tour prend garde

Les journaux de la presse écrite et parlée ont considéré l’allocution télévisée de Wladimir Poutine cette nuit comme une déclaration de guerre envers l’Ukraine, et dans les faits, cela y ressemble comme deux gouttes d’eau. Cependant, le président russe s’est bien gardé d’employer cette formulation, qui pourrait le faire considérer, à juste titre, comme l’agresseur. Il a indiqué avoir donné l’ordre à l’armée rouge de « mener une opération militaire spéciale », à la demande des Républiques populaires nouvellement reconnues par lui, pour les « protéger » d’un pseudo-génocide. Renversant les rôles, Wladimir Poutine menace tous ceux qui se mettraient sur son chemin de représailles terribles.

Pour justifier cette attaque, le président russe n’hésite pas à disqualifier le pouvoir ukrainien, qu’il qualifie de « junte » et il sanctuarise l’ensemble des pays qui faisaient partie du bloc de l’Est du temps de la guerre froide, ce qui ne laisse pas d’être inquiétant quant à ses objectifs de guerre futurs, toujours aussi nébuleux, sauf pour lui. Concernant l’Ukraine, il semble bien décidé à se débarrasser d’un gouvernement démocratique et à anéantir son armée si elle devait résister. Il sait déjà que ni les Américains ni les Européens ne sont prêts à mourir pour Kiev, comme autrefois les brigades internationales l’ont fait, sans succès, pour Madrid. Il lui suffira de maintenir contre toute évidence que ce n’est pas lui qui a commencé, pour éviter d’être mis au ban des Nations Unies, où la Russie occupe toujours un siège au conseil de sécurité et dispose d’un droit de véto pour garantir son impunité, sans compter le soutien discret, mais effectif de la Chine populaire de son homologue Xi Jinping.

Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. Poutine déclare vouloir démilitariser et « dénazifier » l’Ukraine. Une façon de mettre entre parenthèses les 70 dernières années, et de revenir à une époque de gloire de l’armée et du régime soviétique, se posant en rempart contre la menace hitlérienne, le mal absolu, l’ennemi commun permettant l’union sacrée. Plutôt que la paranoïa, je pencherais pour la mégalomanie, avec pour point commun les phénomènes classiques de projection. Poutine voit chez les autres ce qu’il ignore totalement chez lui-même. Il peut cependant dormir sur ses deux oreilles sur le plan intérieur. Il a fait modifier la constitution pour garder le pouvoir au moins jusqu’en 2036. Il a enfermé ou éliminé ses opposants, et même les simples critiques de son action. Il musèle la presse et déverse sa propagande sans discontinuer, et son attitude guerrière lui assure une popularité bien réelle. Quant à la résistance extérieure, elle montre toujours ses limites en ne proposant que des sanctions économiques peu efficaces. La Russie est peu endettée, elle possède des réserves naturelles importantes et son président aurait amassé une fortune personnelle, un trésor de guerre, lui permettant de voir venir. La tour russe n’est pas près de s’effondrer.