Pouce !

Allez savoir pourquoi, ce matin m’est revenu en mémoire une expression issue des cours de récréation, selon laquelle un joueur pouvait demander une suspension dans le jeu en levant les deux pouces en l’air, à condition de crier en même temps la formule convenue. Dans mon enfance brestoise, on disait : « co ! », ce dont je n’ai retrouvé nulle part la moindre trace, mais était souvent remplacé par « pouce ! » avec la même signification. C’est ainsi qu’après avoir été touché dans une partie de chat perché, on pouvait légitimement objecter : « ça ne compte pas, j’avais mis mes cos ! »

Et je me prends à rêver que l’on puisse interrompre le processus qui amène inexorablement Wladimir Poutine à envahir totalement ou partiellement son voisin ukrainien qu’il considère comme une partie de la grande Russie, comme le chancelier allemand Hitler traitait l’Autriche en 1938 en l’annexant purement et simplement au moyen de l’Anschluss. Dans un monde meilleur, les dirigeants se mettraient autour d’une table de négociation et se donneraient du temps pour tenter de trouver une solution pacifique à des conflits généralement issus de désaccords plus ou moins anciens. Malheureusement le geste qui accompagne l’expression : « pouce ! » est empreint d’une ambiguïté originelle, puisqu’il signifie également s’avouer vaincu, demander grâce. Certains le relient aux jeux du cirque, où un pouce levé signifiait la vie sauve, et l’inverse, le pouce tourné vers le bas, la mort du gladiateur. Dès lors, si l’on dit que l’on met les pouces, c’est qu’on accepte de se soumettre à la loi du plus fort, ce qui est souvent symbolisé par les « poucettes », ces variantes des menottes utilisées autrefois par la gendarmerie.

Le jeu pratiqué par le maître du Kremlin n’est pas très mystérieux. Il consiste à avancer ses pions lentement mais sûrement, tout en prétendant respecter les usages internationaux pour apparaître toujours dans son bon droit. Il profite de la faiblesse de ses adversaires, notamment les Européens, ligotés par leur dépendance aux alliés américains, ainsi que de la maladresse du président Biden qui a annoncé prématurément le renoncement de son pays à toute riposte militaire, et il bénéficie de la neutralité bienveillante de la Chine, dont le président se réjouit de tout ce qui peut affaiblir les États-Unis. Tout repose donc sur la capacité des Occidentaux à faire en sorte de ramener les belligérants à la table de négociations en criant « pouce ! » dans le sens d’une pause et non d’un abandon ou d’un aveu de faiblesse. Peut-être pourrait-on en trouver l’inspiration dans le cours de guitare sommaire que donnait Boby Lapointe en son temps quand il préconisait de jouer uniquement avec le pouce (pouce, c’est pour rire, pouce, ça ne compte pas) et de se limiter à deux accords, le « bling » et le « blang ». Avec la Russie d’ailleurs, un seul accord suffirait, s’il est honnête et sincère.