Tabarnak !

Quand les camionneurs canadiens ont commencé il y a une dizaine de jours à bloquer la capitale Ottawa, pour protester contre l’obligation vaccinale qui leur était imposée, beaucoup d’observateurs ont fait le rapprochement avec le mouvement des Gilets jaunes en 2018 en France, probablement du fait que ceux-ci occupaient des ronds-points et utilisaient le réseau routier pour exprimer leurs revendications. Cependant, la situation est très différente au Canada, où le mouvement du « convoi de la liberté » est soutenu très largement par un conglomérat conservateur, complotiste, issu des milieux Qanon, qui ont largement contribué à l’élection de Donald Trump en 2016 puis à la contestation de la victoire de Joe Biden en 2020.

Ce qui est commun en revanche, c’est que les manifestations, parties d’une revendication portant purement sur la question sanitaire, ont dégénéré en contestation pure et simple de la politique du Premier ministre canadien Justin Trudeau, tout comme la crise des Gilets jaunes, causée au départ par une taxe sur les produits pétroliers a bien fait vaciller le pouvoir d’Emmanuel Macron. La tentation est donc grande pour les opposants de tous poils au président français, de demander le renvoi d’ascenseur et de revendiquer la filiation des manifestants canadiens. C’est cet ensemble diffus qui serait à l’origine de la convergence annoncée de véhicules vers Paris tout d’abord, puis Bruxelles. Les deux capitales ont déjà annoncé que les manifestants ne seraient pas les bienvenus, et l’on va tout droit vers de nouveaux affrontements, à moins que Macron ne tire de son chapeau une nouvelle formule pour dévier le mouvement.

Encore plus que les Gilets jaunes, les combattants de la liberté forment un ensemble hétéroclite qui reflète les frustrations et la colère de nombreux Français qui en ont assez de devoir subir les restrictions liées à la pandémie tout en subissant de plein fouet les conséquences de la vie chère, en particulier l’alimentation et le prix de l’énergie. Le résultat ? Un gloubi-boulga disparate, des revendications où l’on trouve pêle-mêle les antivax, des complotistes, des conservateurs, des agitateurs, mais aussi un ancien membre de Nuit debout. Les soutiens vont du Rassemblement national aux Insoumis, en passant par une frange radicale des écologistes. À mon sens, si l’on peut rire avec tout le monde, il est plus difficile de manifester avec ses propres ennemis. Les objectifs de ce mouvement de protestation ne sont pas suffisamment définis, mis à part la critique, justifiée, de la gestion de la crise sanitaire, qui aura été, au mieux, chaotique, au pire erratique, et dans tous les cas, opaque. On peut reprocher, à juste titre, au président Macron d’instrumentaliser les décisions sanitaires pour en faire un usage électoral, mais il ne faudrait pas qu’on puisse retourner l’argument pour taxer les manifestants de vouloir exclusivement la chute du pouvoir, à l’aide de l’argument fourre-tout d’une liberté sans limites.