Les idiots utiles

Je respecte profondément les idées nobles et généreuses défendues par SOS racisme. Il ne fait guère de doute à mes yeux qu’Éric Zemmour, qui a déjà été condamné par deux fois pour incitation à la haine raciale, est un personnage très dangereux, dont il convient de dénoncer le combat idéologique et la haine des étrangers. Vous attendez le « mais », et il arrive. Les incidents violents qui ont émaillé le meeting du candidat d’extrême-droite hier à Villepinte ne servent que les intérêts d’Éric Zemmour, qui réussit à passer pour une victime que l’on voudrait bâillonner alors que ses opposants seraient les fauteurs de trouble.

Le meeting de Jean-Luc Mélenchon, qui s’est tenu un peu plus tôt, et où aucun incident n’a été à déplorer, est passé presque inaperçu, malgré le talent et la verve du tribun de gauche, égal à lui-même dans un exercice qu’il maîtrise. Mais il ne s’est pas fait attraper par le cou par un opposant, il n’a pas non plus « bénéficié » d’une ITT de 9 jours pour une blessure au poignet en se défendant, et son service d’ordre, expérimenté, n’a commis aucune brutalité et n’a eu à déplorer aucun débordement, aucune bavure. On pourrait croire que les images de militants zémmouriens tabassant les contestataires qui avaient prévu le déploiement symbolique d’une banderole humaine du slogan « non au racisme » déclencheraient un rejet du candidat. Pensez-vous. Même le visage ensanglanté d’une jeune manifestante antiraciste ne suffit pas. Ce que retiennent les partisans du polémiste, c’est qu’il faut voter pour le candidat le plus à droite, celui qui maintiendra l’ordre coûte que coûte, fut-ce aux dépens de la démocratie et de la liberté.

Je suis désolé d’avoir à le dire, mais les militants de SOS racisme ont fait preuve d’une grande naïveté en pensant qu’on les laisserait manifester leur opposition pacifique sans les molester. Ils ont été largement dépassés par le déferlement de violence d’une foule chauffée à blanc par un discours extrémiste. Leurs bons sentiments n’ont pas fait le poids devant des activistes apparemment rôdés à la guérilla urbaine, qui n’ont pas ménagé ni retenu leurs coups. On peut s’estimer heureux qu’il n’y ait pas eu de blessures plus graves. Souvenons-nous de la mort de Clément Méric en 2013, tombé sous les coups de skinheads à Paris. Les militants de SOS racisme ont pavé leur enfer de bonnes intentions. Il suffit de lire les commentaires d’internautes « de base », qui jugent qu’ils ont eu tort d’intervenir dans ce meeting, sous-entendu, « ils l’ont bien cherché », pour se rendre compte qu’une part non négligeable de la population soutient les idées nocives d’Éric Zemmour, au nom d’une liberté d’expression dévoyée de sa vocation première, et qui ne s’appliquerait pas à la presse. L’équipe de reportage de Quotidien, par exemple, a été momentanément exfiltrée de la salle. La question suivante, c’est : « le soufflé va-t-il retomber ? » Réponse aux prochains sondages.