Éric fais-nous peur

Qui donc ? Éric Zemmour bien sûr ! l’éditorialiste que l’on adore détester tant ses prises de position caricaturales nous font espérer qu’elles serviront de repoussoir vis-à-vis de l’extrême droite en général, et du Rassemblement national en particulier. Jusqu’à présent il servait de poisson pilote à Marine Le Pen, même s’il soutenait davantage la nièce que la tante, en disant tout haut ce qu’elle pensait tout bas, sur l’Islam ou le grand remplacement. Mais la situation a changé depuis que le polémiste s’est senti pousser des ailes et ne fait plus mystère de ses ambitions présidentielles.

Personne ne sait quelle fraction de l’électorat pourrait être tentée de voter pour lui, s’il décidait de passer à la réalisation concrète de son projet, pour la bonne et simple raison qu’aucun institut de sondage n’a voulu tester cette hypothèse tant que l’intéressé lui-même ne s’est pas déclaré. Il est évident que les voix qui se porteraient sur sa candidature proviendraient principalement de celles qui, sinon, iraient vers Marine Le Pen. C’est bien ce qu’elle a compris en lui demandant de « ne pas affaiblir le camp national », une façon originale de ressusciter le parti de l’étranger, si tant est qu’il ait réellement existé ailleurs que dans les fantasmes. Au bout du compte, le total de voix de ce camp, où l’on peut comptabiliser également Nicolas Dupont-Aignan, serait le même, mais la dynamique personnelle de Marine Le Pen, si elle était privée de la première place au premier tour, en serait en effet affectée.

Reste qu’une campagne ça coûte cher, et que pour l’instant on ne connait pas la nature du financement éventuel d’Éric Zemmour, ni de quels soutiens il pourrait disposer, à part celui du maire d’Orange, ou celui de Béziers par exemple. On imagine mal un raz-de-marée populaire en sa faveur, bien que la société française soit plus à droite qu’elle ne l’a jamais été. Les Français aiment surtout voler au secours de la victoire et sont prompts à abandonner le pétainisme sitôt la guerre gagnée par les alliés. Cette possible candidature d’un trublion médiatique, même si elle ne va pas jusqu’à son terme, vient nous rappeler à point nommé que rien n’est écrit à l’avance, et que si les Français ne souhaitent pas majoritairement voir le match retour de 2017 au 2e tour, ils pourraient bien créer la surprise une nouvelle fois. Le paysage politique est tellement morcelé qu’aucune hypothèse ne peut être exclue quant à l’issue finale. Les formations traditionnelles sont affaiblies, mais résistent dans leurs bastions, et l’aventure personnelle d’Emmanuel Macron touche ses limites, par manque d’ancrage dans la réalité sociale du pays. Drôle d’époque quand même, où les « maîtres à penser » s’appellent Zemmour, Praud ou Hanouna et servent la même soupe sur la chaîne Cnews, de plus en plus calquée sur le modèle américain.