Concurrence victimaire

Plus victime que moi, tu meurs. Je suis frappé de constater à quel point le statut de victime est revendiqué de nos jours, que ce soit à titre personnel, ou au nom d’un groupe auquel on se sent appartenir. Au cours de sa garde à vue, le meurtrier présumé des Cévennes, non seulement a reconnu sans difficulté avoir tué son patron et un de ses collègues, mais aurait défendu son bon droit à le faire. Il tenait beaucoup à expliquer en quoi il se sentait menacé dans son travail, où il estimait être victime d’injustice pour non-paiement d’heures supplémentaires.

Plus largement, il semblait craindre pour sa vie après des conflits avec des personnes du village, et ne pas faire confiance aux autorités ou à la justice pour résoudre les problèmes. D’où la tentation de se faire justice lui-même, et l’absence de remords pour ses actes. De même, l’adolescent de 15 ans qui, en région parisienne, a poignardé mortellement une jeune fille de 17 ans à la suite d’une dispute sur les réseaux sociaux qui a dégénéré ne semble pas avoir pleinement conscience de la gravité de son geste. Il insulte la petite sœur de la victime, qui le frappe selon des témoins, il remonte chercher un couteau et ses affaires de sport, et va tuer la jeune fille avant sa séance. Une terrible banalisation de la violence, où aucune hiérarchisation ne vient balancer les pulsions agressives. Un mot, un regard de travers peuvent se payer de la vie, et victimes comme bourreaux sont de plus en plus jeunes.

C’est aussi une des façons d’analyser le conflit israélo-palestinien. Le représentant d’Israël à l’ONU défend son bon droit à écraser les habitants de la bande de Gaza sous un déluge d’artillerie à cause des roquettes tirées depuis ce territoire à un rythme sans précédent. Autrement dit, il ajoute des victimes nouvelles aux anciennes, dans une sorte d’atroce concours à qui sera le plus à plaindre. Ce qui n’est pas dit explicitement, c’est que les juifs ayant été persécutés tout au long de l’histoire à raison de leur religion, avec une forme d’acmé au moment du génocide perpétré par les nazis, cela leur donnerait un droit à le faire payer aux pays arabes et à imposer leur loi aux autres peuples. Leur droit à être considérés comme victimes principales leur est d’ailleurs contesté par certaines organisations qui revendiquent ce titre à raison de la couleur de peau. Pour un Dieudonné par exemple, être noir est un sort plus difficile qu’être juif, et sa légitimité en devient incontestable. Ce statut de victime privilégiée est instrumentalisé pour disqualifier définitivement ses adversaires et tenter de les réduire au silence. Un silence assourdissant et mortifère, car chacun sait qu’il est difficile de se parler et se battre en même temps.