Au loup !

Il était une fois, un jeune berger qui gardait tous les moutons des habitants de son village. Un jour qu’il s’ennuyait particulièrement, il grimpa sur la colline qui dominait le village et hurla : « Au loup ! Un loup dévore le troupeau ! » à ces mots, les villageois bondirent hors de leurs maisons et grimpèrent sur la colline pour chasser le loup. Vous connaissez la suite de la fable d’Ésope. Le berger a tant dérangé pour rien les villageois que lorsque le loup attaqua vraiment le troupeau, personne ne prit son appel au sérieux.

Pourquoi est-ce que je vous rappelle cette histoire ? souvenez-vous de cette tribune signée par des généraux en retraite qui alertait l’opinion publique sur une supposée décadence de la France et mettait en garde contre une possible guerre civile, dont personnellement je n’ai pas encore vu le début d’une trace de possibilité d’occurrence, si l’on excepte les arrière-pensées éventuelles des signataires, feignant de redouter ce qu’ils seraient en train de préparer. Cette première alerte émanait de personnes peu nombreuses mais identifiables et identifiées. Voici que le même journal publie une nouvelle tribune, supposée provenir de militaires en service actif ceux-là, qui, par conséquent, ne pourraient pas témoigner à visage découvert. Il faut donc les croire sur parole quand ils prétendent être nombreux et représentatifs. Bien entendu, ils agitent eux aussi le spectre d’une guerre civile imminente, et désignent nommément l’adversaire : l’islamisme. La manœuvre, pour être grossière, n’est pas si malhabile. Un mensonge, celui de la guerre civile, devient crédible à force d’être répété. Le journal Valeurs actuelles appelle à signer en ligne le texte qu’il publie, de telle sorte qu’il va acquérir une légitimité que rien ne justifiait à l’origine, puisqu’il peut très bien être l’œuvre d’une poignée d’activistes, pas forcément militaires.

Pour une fois, je ne peux pas donner tort au gouvernement quand il dénonce une supercherie et en attribue la paternité à l’extrême droite. Le vocabulaire et la rhétorique semblent en effet inspirés des thèses de la mouvance ultra, nationaliste et factieuse qui n’a jamais vraiment disparu après l’héritage de Pétain ou de Maurras, des Camelots du roi et de l’Action française. Cette faction a trouvé des relais dans des partis comme le rassemblement national, bien qu’il essaie de se fabriquer un costume démocratique plus présentable, ou dans la « Manif » pour tous ». De là à déclencher une guerre civile, il y a une très grande marge, et une dérive impensable à l’échelle d’un peuple, même en attisant les conflits larvés qui divisent le pays. Ce que l’on peut et l’on doit craindre, c’est la diffusion de ces idées nauséabondes, qui tentent d’occuper le terrain médiatique par l’intermédiaire d’idéologues démagogues tels que Zemmour ou Onfray, toujours prêts à crier au loup dès qu’on en aperçoit la queue.