Adieu Hélène

Je ne suis pas forcément douée pour les nécrologies, mais aujourd’hui j’ai envie de rendre hommage à une artiste à mon goût trop oubliée, décédée discrètement à l’âge de 92 ans, le 21 février, dans un petit village à quelques kilomètres de chez moi : je veux parler d’Hélène Martin.

J’aurais aimé savoir avant ce discret entrefilet dans Ouest-France que j’étais si proche d’elle pour la rencontrer, pour renouer un peu avec un passé musical où elle avait une place de choix, au côté des Lapointe, Sylvestre, Solleville, Tachan, Fanon…

Autrice, compositrice, interprète, elle s’était mise au service de la poésie dont elle mettait les textes en musique.

Amie de Giono, Aragon, René Char, Queneau, Pablo Neruda, Jean Genet… elle était une figure de la rive gauche de l’après-guerre, faisant partie de ces artistes qui promulguaient « la chanson littéraire », ainsi que la chanson réaliste engagée, puisant ses inspirations chez tous les poètes dont la liste serait très longue de Supervielle à Rimbaud. Elle mettait aussi sa voix grave et chaleureuse au service des chansons de Ferré ou Vigneault…

Elle se disait une « passeuse » au service des gens de lettres qu’elle admirait, capable de briser les codes de la bienséance, comme en mettant en musique le long poème érotico gay de 1942 de Jean Genet « le condamné à mort », qu’elle adaptera à la scène en 1984. Mais ce n’était pas sa première expérience de théâtre, Jean Vilar lui avait demandé d’adapter des textes de René Char au festival d’Avignon en 1966.

Pendant les événements de mai 68, elle fut une des protagonistes à faire entrer les chanteurs dans les usines occupées, découvrant la richesse de tout ce nouveau public si souvent écarté des lieux de concerts, jusqu’à ce qu’on les interdise… et qu’ils se transportent à la Mutualité, ouvrant la scène à tous ceux qui avaient envie de se faire entendre !

Commence pour elle un engagement politique, marqué par un engagement féministe, concrétisé par un album « liberté femme » de 1972 à 1990, plébiscite pour la libéralisation de l’avortement, et par une série de 7 émissions sur la contraception en 1980.

Elle a créé et animé une émission littéraire « plain chant » consacrée aux poètes et écrivains français et étrangers.

Elle a obtenu trois fois le prix de l’académie Charles Cros et le prix de l’humour noir en 1967 !

Elle créa sa propre maison d’édition musicale « les disques du cavalier », pour éditer ses créations et celles de ses amis… les Ménestriers, Terzieff, Gougaud…

C’est le portrait non exhaustif d’une femme d’exception, discrète, aux qualités artistiques incontestables, Étienne Daho ne s’y est pas trompé, qui a repris le texte du « condamné à mort » « sur le cou » avec la collaboration de Jeanne Moreau en 2010. Les grands quotidiens nationaux lui ont rendu un hommage, au lendemain de son décès, le Figaro, Télérama, le Monde… même s’il a été discret, le monde artistique lui devait bien ça !

Le mien est sincère, sa disparition m’a beaucoup ému, elle m’a fait revivre une période où j’avais plaisir à écouter des chansons à textes, porteur de rêves ou de messages, dont je déplore de plus en plus l’absence… peut-être vous ai-je donné l’envie d’aller l’écouter, ce serait mon cadeau posthume.

L’invitée du dimanche