Un Bossuet au petit pied

Quand on parle de Bossuet, sans prénom, mis à part quelques pédants qui précisent qu’il s’agit de Jacques-Bénigne, ou qui recourent à la périphrase classique en le désignant comme « l’aigle de Meaux », on pense à l’homme d’Église, célèbre pour ses oraisons funèbres et ses sermons à l’éloquence brillante. J’ignore si Kévin Bossuet a un quelconque lien de parenté avec l’évêque qui fut en son temps le précepteur du dauphin, futur roi de France, mais il semble se targuer de sortir de la cuisse de Jupiter.

Ce jeune monsieur officie sur les chaînes d’information continue, où j’ai parfois eu l’occasion de le voir et surtout l’entendre donner la leçon à ses interlocuteurs avec un aplomb que rien ne me semble justifier. Il y est présenté par son métier, qui est d’être « professeur d’histoire et de géographie en région parisienne », ce qui lui donnerait entière légitimité pour donner son avis sur tous les sujets. Et pourquoi pas ? Ce qui me gêne c’est que sa parole est très orientée et généralement polémique sans que l’on sache clairement ce qu’il représente, à l’inverse des invités politiques que l’on identifie facilement, ou des chroniqueurs suffisamment connus pour ne pas avoir besoin de les replacer dans leur contexte. L’exemple type en étant Éric Zemmour, régulièrement à l’antenne. Sous couvert de leur expérience personnelle, ces personnages font passer des messages clairement orientés à droite, à l’abri de leur faux nez. J’ai eu l’occasion de citer ici Arnaud Stéphan, qui se présente comme un « communicant », mais qui a aussi été l’attaché parlementaire de Marion Maréchal, du Rassemblement national.

Récemment, Kévin Bossuet s’en est pris violemment à « des imams », qu’il se garde bien de désigner nommément, qui prôneraient la haine et explique ainsi la montée d’un nouvel antisémitisme dans les banlieues. Le prétexte de la discussion était un incident qui s’est passé à Strasbourg, quand un livreur de Deliveroo aurait refusé la commande de restaurateurs juifs. Pour clouer le bec d’une interlocutrice sur le plateau, qui tentait d’introduire un semblant de nuance dans le débat, Kevin Bossuet lui a asséné un argument d’autorité en l’invitant à venir avec lui « sur le terrain », qu’il est visiblement le seul à connaître parce qu’il exerce en Seine-Saint-Denis depuis 7 ans. Il a oublié de préciser que de surcroît il possédait la science infuse qui lui octroyait le privilège de tout comprendre simplement en observant la situation. Cela m’a rappelé une parodie d’argumentation selon laquelle un ignorant prétendait être l’homme de la situation au motif qu’il connaissait très bien les enfants, car il avait été un enfant lui-même, avant de devenir cet adulte brillant et omniscient. Le Bossuet d’aujourd’hui a encore beaucoup de chemin à parcourir pour rattraper l’ancien.