Avoir 20 ans

Il n’y a pas si longtemps, le président de la République a endossé son costume compassionnel pour s’adresser à la jeunesse, en leur disant qu’il comprenait leur situation rendue difficile par la crise sanitaire. C’est dur d’avoir 20 ans en 2020, s’exclamait-il le 14 octobre dernier, dans un de ses accès de démagogie, pour faire passer la pilule du confinement. Ce n’est pas faux, naturellement, mais il faut reconnaître deux choses. D’une part, si c’est dur d’avoir 20 ans en ce moment, ce n’est pas plus simple si l’on en a 30, 50 ou 80.

Et d’autre part, ce n’est pas la première période difficile que la société moderne traverse, et il y en a eu d’aussi compliquées, et parfois plus dramatiques encore. Paul Nizan commence son roman « Aden Arabie » avec cette phrase devenue célèbre : « j’avais 20 ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » Pour ma part, « avoir 20 ans » appelle invariablement le complément « dans les Aurès », ce film de René Vautier qui évoque ce que l’on appelait pudiquement les « évènements » en Algérie, en réalité une guerre sans merci, où de jeunes appelés laissaient leur peau, ou parfois, peut-être pire, étaient transformés en tortionnaires et commettaient des crimes au nom d’une certaine idée de la France. J’ai eu la chance de ne devenir mobilisable qu’après les accords d’Évian. Et que dire de la génération qui a eu 20 ans pendant la 2e guerre mondiale et l’occupation nazie ? Ou celle qui, comme Guy Môquet, a été fusillée à 17 ans en représailles pour la mort d’un officier allemand ?

Cela n’enlève rien bien sûr aux problèmes que rencontre la jeunesse actuellement, mais incite à ne pas les grossir non plus. Toute la société est concernée par les restrictions des libertés individuelles, et le moins que l’on puisse attendre, c’est que chacun fasse preuve de solidarité. Il n’est pas juste de présenter la situation comme le fait de demander des sacrifices aux jeunes pour protéger la population âgée. Avec pour corollaire un calcul cynique sur l’importance relative de prolonger la vie de vieillards voués à mourir de toute façon à plus ou moins brève échéance. Je l’ai entendu de la part, non d’un jeune de 20 ans, mais d’un père de famille, visiblement inquiet de la réussite sociale de ses enfants et revendiquant pour eux le droit à l’insouciance, « quoi qu’il en coûte » des conséquences, en oubliant visiblement qu’il fait partie de la population à risque. S’il existe bel et bien un problème spécifique à la jeunesse, c’est la précarité financière de ceux qui ne bénéficient pas du soutien familial. Et si le président de la République veut faire plus que de compatir, il lui suffit d’étendre le bénéfice du RSA à ceux qui, âgés de moins de 25 ans, en sont actuellement exclus.