Floutage de gueule

De qui se moque-t-on ? Pour faire plaisir aux syndicats de police, sur sollicités par ces temps de pandémie et de terrorisme islamiste, Emmanuel Macron avait promis de prendre une loi qui reconnaîtrait le travail des forces de l’ordre et les protégerait dans l’exercice de leurs fonctions. Et voilà que la majorité parlementaire du groupe LREM et son allié Agir l’ont pris au mot et déposé une proposition de loi dite de sécurité globale, un titre ronflant pour un train de mesures hétéroclites, comme seule notre administration semble en détenir le secret.

Encore un texte de plus pour un résultat incertain, me direz-vous, dans la plus pure tradition d’un millefeuille législatif où les lois s’empilent avant même de recevoir le moindre début d’application. C’est vrai, mais pas seulement. Un article en particulier a cristallisé la polémique, car il ouvre la porte à une remise en cause d’une liberté fondamentale en permettant de bloquer l’information du public sur les interventions policières. Il s’agit d’empêcher la diffusion en direct ou en différé d’images gênantes de policiers ou de gendarmes, soit en les bloquant, en les censurant, soit en les floutant pour empêcher l’identification des personnes. En pratique, cela reviendrait à garantir l’impunité en cas de bavures policières, et à empêcher l’exercice d’une information libre et indépendante.

Chauffé à blanc par une base très remontée de policiers fatigués et mal aimés, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est livré à une attaque en règle sur un mode hystérique contre les opposants à ce texte liberticide, en invoquant le meurtre de deux policiers à Magnanville dans le cadre d’un attentat terroriste, sans rapport aucun avec la diffusion éventuelle d’images de ce couple de fonctionnaires. Sur le plan purement juridique, le texte s’expose à être refusé par le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel, car il s’appuie sur une « intention » de commettre un délit, avant même un début d’exécution, en invoquant un usage supposé malveillant des photos ou vidéos pour nuire aux forces de l’ordre, en les identifiant et en révélant éventuellement leur adresse. À qui fera-t-on croire que l’arsenal juridique actuel ne permet pas d’ores et déjà de condamner un citoyen qui porterait atteinte à la vie privée des policiers ou des gendarmes, ou divulguerait des informations dans le but de leur nuire, ou pire lancerait un appel à porter atteinte à leur intégrité morale ou physique ? Pas étonnant dans ces conditions que des centaines de journalistes, de politiques, de défenseurs des libertés fondamentales, se soient mobilisés pour protester contre un texte mal ficelé, déposé à la va-vite, qui ne verra peut-être jamais le jour, mais qui constitue un coup de canif dans un contrat social dont l’équilibre est très fragile, et pourrait être utilisé dans un contexte moins démocratique pour mettre au pas les contestataires de tout poil.

Commentaires  

#1 jacotte 86 18-11-2020 11:02
article 24...encore un mauvais coup pour la démocratie, j'espère bien qu'il ne verra jamais le jour!!
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