Le temps ne fait rien à l’affaire

Vous aurez reconnu la chanson de tonton Georges, toujours prêt à nous délivrer un message de sagesse, même d’outre-tombe, et dont le sous-titre aurait pu être : « quand on est con, on est con ! » Le privilège de la jeunesse, c’est d’avoir la vie devant soi, mais c’est aussi sa malédiction quand on voit l’état dans lequel on leur laisse le monde, très loin de celui dans lequel nous aurions aimé le trouver en arrivant.

Car il ne faut pas oublier que les vieux d’aujourd’hui sont les jeunes d’hier, et que chaque génération qui arrive doit se coltiner avec un monde d’avant, très loin d’être idéal. Et aussi que si l’on est toujours le jeune de quelqu’un, on est également le con de quelqu’un. C’est pourquoi la querelle des Anciens et des Modernes qui consiste à assigner une place à tout un chacun exclusivement en raison de son âge me paraît vaine et stérile. Les jeunes n’ont pas le monopole de la modernité, tant s’en faut, et il leur arrive même d’être plus réactionnaires que des vieux patentés dûment estampillés « seniors » et parfois affublés de sobriquets moqueurs tels que « boomer » pour souligner leur appartenance à l’époque révolue du « baby-boom » dans l’immédiat après-guerre. Les jeunes se plaignent à juste titre de ne pas être pris au sérieux par leurs aînés. Qu’ils se rassurent. La jeunesse ne dure pas. Je le sais, car j’ai été jeune moi-même, aussi improbable que cela puisse paraître aujourd’hui.

En revanche, la connerie a tendance à apparaître dès le plus jeune âge et à s’incruster, voire croître et embellir avec le temps. Aujourd’hui, un cinéaste comme Albert Dupontel titre son film « adieu, les cons », quand Hemingway écrivait « l’adieu aux armes ». Je vous laisse juges. Avant lui, « le dîner de cons » mettait en scène la bêtise humaine, pas toujours là où on l’attend. Et je me souviens du slogan « mort aux cons » en 68, considéré comme suicidaire par bien des observateurs attentifs en regardant ceux qui l’utilisaient. Jusqu’à Charlie Hebdo qui s’écriait amèrement « c’est dur d’être aimé par des cons » avant de constater que c’était tout aussi dur d’être détesté par les mêmes, surtout quand ils sont équipés de kalachnikovs ou même de simples hachoirs.

Il reste une distinction opératoire en fonction de l’âge, et c’est le rapport au risque, parfaitement illustré par la crise sanitaire du coronavirus. Si certains jeunes ont un sentiment d’invulnérabilité qui les pousse à vivre dangereusement, la plupart des personnes âgées se savent exposées et prennent le moins de risque possible. Elles savent aussi que ces précautions ne suffiront pas si elles sont les seules à les appliquer. C’est un geste fort de solidarité intergénérationnelle que beaucoup de jeunes pratiquent, et qui pourrait réconcilier les uns et les autres.