Les « petits caïds »

Si l’on en croit Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, l’attaque spectaculaire du commissariat de Champigny-sur-Marne à coups de barre de fer et de tirs de mortiers d’artifice serait le fait de « petits caïds, qui n’impressionnent personne ». Déclaration maladroite s’il en est puisqu’elle suggère que la République, et tous les moyens dont elle dispose seraient impuissants à prévenir des actes de violence de la part de personnages aussi peu redoutables, et serait incapable de les mettre sous les verrous après qu’ils aient commis leurs exactions.

La contradiction atteint des sommets lorsque le ministre est obligé de monter en épingle les faits objectifs : des feux plus spectaculaires que dangereux, des dégâts matériels et heureusement aucun dommage corporel, en les qualifiant de tentatives de meurtre, et en suggérant que les mortiers de feux d’artifice, sortes de gros pétards, étaient voisins des armes de guerre utilisées dans les conflits armés. S’il s’agit vraiment de voyous locaux de petite envergure, il me semble qu’ils devraient être connus de la police, même si elle n’est plus de proximité depuis très longtemps. Si celle-ci n’a procédé à aucune interpellation, à part celle d’un homme dont le seul délit apparent, hormis peut-être celui de « sale gueule », aurait été de « résister à un contrôle d’identité », c’est peut-être pour ne pas risquer de déclencher une flambée de violence plus grande encore. D’ailleurs, le tweet ministériel suggère dans la foulée que ces délinquants seraient impliqués dans le trafic de stupéfiants. J’ai peine à croire que ce trafic puisse continuer au grand jour et que l’état se contente de prélever sa quote-part sous forme d’amendes forfaitaires sur les consommateurs, sans que cela implique une tolérance des autorités envers les « petits caïds » en question. On achète ainsi la paix sociale, dans l’espoir de faire, de temps en temps, une grosse prise à l’échelle nationale.

Il semblerait que le statu quo ait été rompu à la suite d’un accident de scooter au cours d’une course poursuite entre membres d’une bande et forces de police. Les versions divergent, naturellement, mais de tels faits ont provoqué dans le passé des incidents similaires, et ont parfois dégénéré en crises plus importantes, ce qui explique la prudence de la riposte. Ce terme de caïd m’a rappelé quelque chose. C’est la réaction de Roselyne Bachelot en 2010, alors ministre de la Santé et des Sports, à la « mutinerie » des joueurs de l’équipe de France de football pendant la Coupe du monde en Afrique du Sud. Elle les avait traités de « caïds immatures », ce qui lui avait été beaucoup reproché, et l’avait obligée à se défendre de toute connotation raciste ou ethnique. 10 ans plus tard, cette allusion à une provenance étrangère possible ne semble plus choquer personne.