Un jour sans fin

Ce n’est pas le jour de la marmotte que revit indéfiniment l’Amérique, mais, semble-t-il, celui de l’injustice raciale. Après la mort tragique de Georges Floyd il y a trois mois, asphyxié sous le genou d’un policier malgré ses appels au secours répétés, c’est un autre afro-américain qui est entre la vie et la mort après avoir reçu sept coups de feu dans le dos, tirés à bout portant par un policier blanc. Les circonstances exactes de ces tirs restent à élucider, mais le résultat est là, et donne une impression terrible de « déjà-vu ».

On peut d’ores et déjà parier que le policier qui a tiré invoquera la légitime défense, bien qu’aucune arme n’ait été retrouvée dans la voiture où se trouvaient les trois enfants de Jacob Blake. Aux États-Unis, les armes circulent tellement qu’il suffit de se croire menacé pour se sentir en droit de tirer le premier, surtout si l’on est policier. De là à tirer sept fois, qui plus est dans le dos, pourrait valoir à l’auteur des coups de feu d’avoir quelques ennuis, mais ce n’est pas certain. Le mythe du droit à l’autodéfense a la vie dure, contrairement au droit tout récent de ne pas risquer sa peau du simple fait qu’elle est foncée. Les méthodes d’interpellation aux États-Unis sont également assez expéditives, au point que la notion de rébellion est très vite atteinte, et qu’un citoyen, même s’il n’a rien à se reprocher, risque sa vie s’il ne démontre pas clairement son envie de coopérer, et c’est pire s’il semble vouloir se soustraire à l’action des forces de l’ordre. C’est contre cet état de fait que s’est créé le mouvement « Black Lives Matter », qui a malheureusement beaucoup de travail en perspective.

Cet évènement survient en pleine investiture des candidats pour les élections présidentielles de novembre prochain. Joe Biden a demandé, comme c’est son rôle, une enquête approfondie et indépendante. Donald Trump n’a pas encore réagi, mais il est probable qu’il soufflera sur les braises, comme il en a la détestable habitude, sachant que son électorat s’appuie sur la frange extrême des suprématistes blancs, et qu’il a fait son deuil de l’électorat noir, traditionnellement acquis aux démocrates. Comme il l’a toujours fait, il va jouer la division et la radicalisation en escomptant une démobilisation du camp adverse et en dissuadant le plus possible d’électeurs de faire entendre leur voix. Il sait pouvoir compter sur ses partisans les plus convaincus et, faute de pouvoir présenter un bilan économique satisfaisant du fait de l’épidémie, il tentera de faire peur en agitant l’épouvantail communiste comme au bon vieux temps du maccarthysme. Et, malheureusement, comme il y a quatre ans, du fait du mode de scrutin, il peut être battu en voix et cependant élu de nouveau pour continuer de nuire.