Calcul mental

« Il n’est pas nécessaire de savoir faire quelque chose, pour pouvoir l’enseigner ». N’importe quel pédagogue sera capable de vous le prouver, mais vous dira probablement aussi que cela aide, ne serait-ce qu’en se confrontant soi-même à la difficulté de l’apprentissage. Après tout, dans ma courte carrière d’enseignant, j’ai dû expliquer les subtilités de l’enseignement ménager à des élèves qui préparaient le défunt certificat d’études primaires, alors que je n’aurais sûrement pas eu la moyenne en travaux pratiques.

Toutefois, sans exiger l’excellence dans tous les domaines, il me semble gênant d’accéder au poste de ministre de l’Éducation sans savoir compter, ne serait-ce qu’un peu. Deux des prédécesseurs de Jean-Michel Blanquer s’étaient cassé les dents sur l’exercice redoutable de la règle de trois, qu’ils s’étaient révélés incapables de maîtriser. En 2008, sur le plateau de Canal plus, Xavier Darcos renonce à toute tentative de calculer le prix de 14 stylos quand il connait le prix de 4, après avoir échoué aussi lamentablement en conjugaison sur le passé antérieur. Et en 2011, c’est Luc Châtel qui se plante sur le problème authentique posé aux évaluations du CM2 à l’époque : « Dix objets identiques coûtent 22 euros. Combien coûtent quinze de ces objets ? » au micro de Jean-Jacques Bourdin. Aucun piège dans le problème soulevé par le ministre lui-même cette fois-ci à propos du coût des masques qui seront exigés pour les élèves de 11 ans et plus. Les calculs habituellement admis font état d’un budget de 30 euros environ par personne et par mois, en prenant la solution la plus économique, celle des masques réutilisables. Le ministre met en avant l’augmentation « considérable » de l’allocation de rentrée scolaire, relevée de 100 euros, pour l’année ! C’est-à-dire qu’au bout d’un peu plus de 3 mois, la prime serait dépensée, rien qu’en achat de masques.

Il ne me semble pas nécessaire d’avoir fait Math sup pour comprendre ça. Et si Jean-Michel Blanquer ne peut pas additionner 2 et 2 sans calculette, je suis sûr que ses derniers partisans inconditionnels, dont fait partie Brigitte Macron, seraient prêts à se cotiser pour lui en offrir une. Les fameux ménages modestes qui n’auraient pas les moyens de payer les masques pourront toujours en mendier à l’administration, ils n’en sont plus à une humiliation près. C’est ce que le ministre sous-entend quand il parle d’en fournir à ceux « qui en ont le plus besoin », en pratique, ceux qui ne peuvent pas les acheter. Quand l’état rend le port du masque obligatoire dans les entreprises, il impose aux employeurs le coût financier de la mesure, mais l’État-patron, lui, renvoie à l’initiative personnelle et au financement individuel le prix de la protection sanitaire, une fourniture comme une autre.