Un emprunt russe ?

L’annonce faite hier par le nouveau tsar de toutes les Russies, Wladimir Poutine, selon laquelle son pays avait mis au point un vaccin contre le Covid 19, a pris de court les spécialistes, qui s’accordent sur un point : ils y croiront quand ils le verront. Selon le locataire du Kremlin, les essais sont entrés dans la phase finale et la fabrication industrielle des doses débuterait dès cet automne pour une vaccination massive au début de l’année 2021.

Après la course aux armements nucléaires, puis celle de la conquête spatiale, la Russie affirme avoir remporté la course au vaccin, qui oppose les laboratoires des pays industrialisés. Le choix du nom du vaccin, le vaccin Spoutnik, est visiblement destiné à rappeler que c’est l’Union soviétique qui a lancé le premier satellite artificiel, avant d’être rattrapée et dépassée par le programme Apollo des États-Unis. Cette annonce, prématurée, soulève un grand scepticisme, car les données scientifiques ne sont pas accessibles à la communauté internationale. Les candidats vaccins, plus d’une vingtaine au total, sont l’objet d’essais cliniques rigoureux pour garantir leur innocuité, leur efficacité et l’absence d’effets secondaires notoires. Les tests devront être effectués sur des échantillons suffisamment vastes, et leurs résultats devront être reproductibles, comme dans toute démarche expérimentale. Rien ne prouve, jusqu’à présent, que la Russie ait pris un avantage décisif sur ses concurrents. Elle essaie en tout cas de prendre un ascendant psychologique afin de pousser les états à précommander massivement son vaccin de préférence à tous les autres.

Cette tentative d’influencer les clients potentiels, même si elle est largement de l’ordre de la communication, ne peut être ignorée purement et simplement. Les grandes puissances, qui essaient de pousser leur propre poulain, ne peuvent pas mettre tous leurs œufs dans le même panier et doivent donc, paradoxalement, financer leurs concurrents. Le pays qui réussira à mettre au point la formule vaccinale touchera certes le Jackpot, mais cela ne serait rien sans le profit engendré par la vente, même à prix raisonnable, des milliards de doses qui seront nécessaires pour venir à bout de la pandémie. Le montant faramineux des sommes espérées justifie le bluff des autorités russes qui semblent vouloir financer leurs recherches à crédit en « tapant » leurs clients potentiels. Cela rappelle fâcheusement la série des emprunts russes du 19e et 20e siècle, qui n’ont jamais été honorés après la révolution de 1917 et qui ont ruiné nombre de petits épargnants, français, notamment. Même si comparaison n’est pas raison, le Spoutnik V pourrait redescendre sur terre aussi vite qu’il est monté, si les résultats ne sont pas au rendez-vous. Pour l’instant, ni ce vaccin ni aucun de ses concurrents n’a encore fait la preuve de son efficacité, et il n’est même pas certain qu’on réussisse un jour une telle prouesse.