Beyrouth mon amour

Il y a 75 ans jour pour jour, la ville d’Hiroshima au Japon était pratiquement rayée de la carte par l’explosion d’une bombe thermonucléaire de très grande puissance. Cette destruction programmée par les États-Unis avait pour but d’abréger la guerre en forçant le Japon à capituler, ce qui sera obtenu après le largage d’une seconde bombe sur Nagasaki. Mais le symbole de l’apocalypse nucléaire restera attaché à jamais à Hiroshima, qui marque une rupture dans les atrocités de la guerre, et donnera lieu plus tard à la doctrine de l’équilibre de la terreur, aucun pays belligérant ne voulant avoir recours le premier à l’arme ultime.

La catastrophe qui vient de se produire dans le port de Beyrouth n’a peut-être pas été déclenchée intentionnellement. Seule une enquête approfondie permettra de le déterminer. Quelle qu’en soit l’origine, accidentelle ou criminelle, elle représente et illustre malheureusement le degré de décrépitude de l’état libanais, déjà exsangue avant les explosions, miné par la corruption, mis en coupe réglée par les factions qui se disputent le pouvoir depuis des décennies pour en tirer un profit maximal plus encore que pour défendre des idées. À la guerre civile qui a endeuillé le pays a succédé un état de ni guerre ni paix où la population tente de survivre tant mal que bien, où la monnaie locale, la livre libanaise, a perdu toute valeur au profit du roi dollar, et où l’état est incapable d’assumer ses fonctions régaliennes, ni même de fournir de l’électricité à ses ressortissants.

Beyrouth était déjà le symbole d’une ville martyre, au point que lors de l’explosion de l’usine AZF de Toulouse en 2001, causée elle aussi par un stockage imprudent de quantités importantes de nitrates d’ammonium, on avait comparé les dégâts aux scènes de destructions dues à la guerre dans la capitale libanaise. La France est touchée par le sort malheureux de ce pays en proie à des difficultés de toutes sortes qui est frappé une nouvelle fois, comme les autres pays et encore plus qu’eux en raison de l’histoire récente qui unit nos deux nations. Le Liban a été créé à la fin de la 1re guerre mondiale et a été administré sous mandat français jusqu’à son indépendance effective. Beaucoup de Libanais parlent et apprennent le français à l’école, et 22 000 Français y résident régulièrement. C’est au nom de ces liens ancestraux que la France a proposé son aide et que son président va s’y rendre aujourd’hui, au cours d’une visite symbolique, toujours programmée et toujours repoussée jusqu’ici. Quel Alain Resnais et quelle Marguerite Duras pourront écrire et filmer un nouveau chapitre de notre histoire commune, Français et Libanais réunis ? Une nouvelle Emmanuelle Riva s’entendra-t-elle répéter en boucle : « tu n’as rien vu, à Beyrouth » ? La reconstruction sera longue et doit commencer très rapidement.