Bons ou mauvais sauvages ?

Décidément, le tout nouveau ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, les accumule depuis sa nomination controversée. Après l’erreur de casting qui a consisté à désigner comme « premier flic de France », selon l’expression consacrée, une personne susceptible de faire l’objet d’une enquête policière portant sur des faits de viol et d’agression sexuelle, on aurait pu attendre de celui-ci à tout le moins une certaine retenue, une discrétion de bon aloi et du discernement dans les prises de position en public.

Or, après la bourde énorme du ministre utilisant le terme d’étouffement pour qualifier sa réaction aux accusations de violences policières, malheureusement trop réelles et fréquentes pour être mises en doute, le voilà qui reprend le vocabulaire de l’extrême droite en employant le terme « d’ensauvagement » d’une partie de la société, comme le font régulièrement Marine Le Pen et les cadres du Rassemblement national. Il ne peut s’agir d’une coïncidence ni d’un hasard malheureux. Cet argument est mis au service d’une rhétorique sécuritaire et il est associé à cette fameuse « tolérance zéro » qui suggère que tous nos maux seraient dus à un soi-disant laxisme des institutions, en particulier judiciaires. On ne sait pas si la fonction crée l’organe, et qui a commencé, de l’œuf et de la poule, mais le fait est que la plupart des ministres de l’Intérieur de la 5e république ont adopté un ton martial et ont tenté de s’en faire un tremplin pour des ambitions plus élevées. L’exemple le plus évident est naturellement celui de Nicolas Sarkozy qui n’a pas hésité à évoquer le karcher et la racaille pour s’attirer les votes populaires et flatter les instincts les plus xénophobes.

Si l’on remonte plus loin dans le passé, on pense forcément à la formule utilisée par Jean-Pierre Chevènement qui avait évoqué les « sauvageons » qui brûlent les voitures de leurs voisins dans les quartiers « chauds ». Un terme repris fort mal à propos par Bernard Cazeneuve, comme pour démontrer que la droite n’a pas le monopole de la bêtise. Gérald Darmanin ne fait donc que perpétuer une tradition qui remonterait à Jean-Jacques Rousseau, le « sauvage » pouvant être la meilleure ou la pire des choses, mais toujours utilisé pour favoriser des desseins personnels. Cette fois, le terme ne passe pas, y compris dans le propre camp du ministre, d’abord retoqué sans le nommer par sa collègue à la transition écologique, prise d’un remord soudain, qui l’empêche d’exercer la solidarité gouvernementale exigée par le règlement. Ce sont ensuite deux députés de la République en marche, transfuges du Parti socialiste, ayant gardé un semblant de dignité, qui ont réfuté le discours ministériel en déplorant des « mots qui attisent, qui enflamment, qui stigmatisent et qui fracturent ». Pas mieux.