Elena, Eugène et les autres

Je parle de Gala, née Elena Ivanov à Moscou, bourgeoise cultivée, férue de littérature et de poésie, fréquentant les milieux artistiques moscovites, et de Eugène Grindel dit Paul Éluard.

Atteints de tuberculose, ils se sont rencontrés dans un sanatorium suisse en 1912, il a 17 ans, elle en a 18. Il lui lit ses poèmes, elle pressent le génie… elle inspire le jeune poète, il se plonge dans l’ivresse de leurs premières amours. « Ma petite Gala, je t’aime infiniment, je ne crois pas en la vie, je ne crois qu’en toi. »

Séparés par la guerre, chacun regagnant son pays d’origine, Gala intrépide traversera toute l’Europe pour le retrouver, ils se marieront en 1917 au cours d’une permission de Paul Éluard. De confession orthodoxe, Gala fait la concession de se convertir au catholicisme pour permettre l’union. Un an plus tard naitra leur fille unique Cécile, dont la principale éducation sera confiée aux grands-parents paternels.

Paul Éluard commence à publier ses poèmes et fréquente à Paris le milieu surréaliste (Man Ray, Breton, Soupault, Picabia, Crevel…) en 1921, le peintre allemand Max Ernst expose ses dessins et collages, Éluard le reconnaît, dit-il, comme « un frère d’âme ». L’amitié est immédiate, c’est un coup de foudre à trois. Éluard voit venir l’attirance de Gala pour Max, voulant anticiper l’inévitable liaison, il l’encourage. La complicité du poète et du peintre reste intacte. Ensemble, ils publient « au défaut du silence ».

Avec l’amoureux consentement du poète, suivent des années folles à Saint-Brice-sous-Forêt, puis à Eaubonne, où les trois emménagent. Le peintre est obsédé par Gala dont il fait de nombreux portraits. Paul Éluard souffre de partager autant sa muse que sa femme, il disparaît pour un voyage autour du monde, mais la distance n’arrête pas la douleur, « mon amour si léger prend le poids d’un supplice ». Il demande à Gala de le rejoindre, elle vient avec Max en Asie. La fin du triangle paraît inéluctable… la liaison Max Gala durera quatre ans…

En 1929, lors d’un séjour à Cadaqués chez Salvador Dali, Paul Éluard rentre seul à Paris, Gala a rencontré l’homme de sa vie, dont elle devient « l’œuvre » plus qu’une muse, fou d’elle au sens propre du terme. « Elle était destinée à être ma “gravida” celle qui avance, ma victoire, mon épouse ».

Avec Gala, le phénomène Dali s’envole, elle le protège, le calme de ses frayeurs, elle est sa conseillère, c’est elle qui signe les contrats… ils se marient civilement en 1932, puis religieusement en 1958. Il y aura à nouveau une relation à trois, en 1960 la jeune mannequin Amanda Lear vient s’interposer dans leur couple, chacune des femmes laisse la place à l’autre sans jalousie. Gala, dans son château de Púbol (où Dali n’est reçu que sur invitation écrite) les deux autres à Port Lligat. Elle y décédera et y sera enterrée en 1982. Salvador Dali lui survit 7 ans, emmuré dans le silence.

De belles histoires d’amour inspirées par une femme exceptionnelle dont la beauté n’était pas le premier atout, « la sorcière russe », « la vierge noire de Kazan », devait sans doute son influence à sa liberté, son émancipation, autant qu’a son intuition artistique et ses qualités de femme d’affaires. Et l’amour a bien des mystères…

L’invitée du dimanche