Le promeneur des Tuileries

Dialogue surréaliste à l'issue de la journée du 14 juillet entre un gilet jaune et le président de la République, qui s'octroyait une promenade qu'il jugeait bien méritée en compagnie de son épouse le long des Tuileries. Emmanuel Macron raffole de ces joutes oratoires, soi-disant à armes égales, où il se fait fort sinon de convaincre ses interlocuteurs, du moins de les amener à résipiscence en feignant de leur taper dans le dos tout en étant prêt à user en dernier ressort de l'argument d'autorité que lui confère son statut.

Et ça marche ! Enfin, autant que ça peut marcher. Le fameux gilet jaune, tout fier de son exploit d’interpeller le président en personne, a certes répété ad libitum sa demande de faire cesser le rôle des Brigades motorisées pour réprimer les manifestations, mais n'aura en fin de compte servi que de faire-valoir à son interlocuteur qui a pu, grâce à lui, donner l'image d'un président proche des gens, allant au contact et cherchant le consensus. Le maître-mot de son argumentation a été « d'être cool », ce qui ne nous rajeunit pas avec la référence à la « cool attitude » d'un ancien Premier ministre, qui voulait paraître jeune et branché malgré sa bedaine plus que naissante, Jean-Pierre Raffarin. D'aucuns lui objecteront à juste titre qu'il est plus facile d'être détendu quand on n'a pas l'angoisse du lendemain. Au pire, Emmanuel Macron, s'il est désavoué par les électeurs, pourra toujours retourner à son ancien métier de banquier, ou débuter une carrière dans le show biz, Roselyne Bachelot ayant démontré que les passerelles entre politique et variétés fonctionnaient encore dans les deux sens. Il aura d'ailleurs livré une de ses meilleures prestations de comédien en endossant, presque au pied levé, le costume de président. Kevin Spacey lui-même n'aurait pas fait mieux dans le rôle de Frank Underwood, président américain de pacotille pour une série télévisée, plus vrai que nature. Je ne peux qu'encourager Emmanuel Macron à persévérer dans cette voie.

Ce que révèle aussi indirectement cette séquence, venue gâcher quelque peu le bel ordonnancement des cérémonies protocolaires, c'est que ce président, comme ses prédécesseurs aspire à profiter de sa vie privée, sans renoncer aux avantages de la vie publique. Il reproche implicitement au gilet jaune de l'avoir dérangé dans sa promenade, sans vouloir tenir compte du fait qu'un personnage qui représente la France le fait en toutes circonstances. L'autre promeneur, celui du Champ de Mars, François Mitterand, pouvait encore dissimuler sa double vie avec la complicité de presque toute la presse. Ce temps est révolu, et si le président veut redevenir anonyme, il sait ce qui lui reste à faire.