Comptabilité macabre

Tous les morts ne se valent pas. On le savait déjà avec la fameuse règle journalistique du mort par kilomètre qui met en relation le nombre de victimes et leur proximité géographique avec le lecteur potentiel. Un seul mort en France pourra compter davantage que la centaine de personnes tuées dans le crash de l’avion cubain par exemple. Il semblerait qu’il faille établir une règle similaire selon que la responsabilité des décès peut être imputée ou non à un individu ou à un groupe de personnes.

C’est ainsi que j’ai été surpris, je l’avoue, de l’ampleur de l’impact environnemental de la pollution qui a amené la Commission européenne à demander des sanctions contre la France et d’autres pays tels que l’Allemagne, l’Espagne ou le Royaume-Uni, qui dépassent régulièrement les seuils de particules fines et de dioxyde d’azote dans l’air. Il y aurait 400 000 décès par an imputables à la pollution dans toute l’Union européenne, dont 45 000 sur notre seul territoire français. Soit dix fois plus que de victimes d’accidents de la route. Et ce n’est pourtant pas la priorité de ce gouvernement, malgré la présence d’un ministre de l’environnement qui a été présenté comme une prise de guerre au moment de sa nomination, mais qui reste étrangement silencieux sur ce sujet. Il est vrai que je ne connais aucun équivalent, en matière de lutte contre la pollution, à la mesure consistant à abaisser la vitesse de 10 km/h sur les routes secondaires. Ce sera peut-être coûteux sur un plan électoral, comme le subodorent certains ministres et non des moindres, mais cela présente l’avantage de désigner clairement les coupables, de simples citoyens assoiffés de vitesse, plutôt que d’améliorer les infrastructures, un travail de fourmi, sans cesse à recommencer. De la même façon, la société juge insupportable que des citoyens, s’ils méritent encore cette appellation, se ruinent la santé en consommant des drogues légales telles que le tabac ou l’alcool, mais se garde bien de légiférer sur le cannabis dont le trafic engendre une forte délinquance et entretient une économie souterraine.

À part mesurer plus précisément la qualité de l’air à Paris et dans les principales villes françaises, que fait le gouvernement pour diminuer la pollution ? Je n’ai entendu parler d’aucune mesure concrète pour améliorer la situation, l’état se défaussant sur les municipalités pour régler les problèmes. Et le paradoxe, c’est que des capitales comme Paris ou Madrid se retournent contre la communauté européenne, dont les normes imposées aux constructeurs automobiles après les tricheries avérées sur les émissions de gaz toxiques sont notoirement insuffisantes. C’est l’arroseur arrosé en quelque sorte, et une illustration parfaite de la politique du « c’est pas moi, c’est l’autre ».