Alchimie

Depuis que le laboratoire Merck a sorti la nouvelle formule du Lévothyrox, une hormone de synthèse qui soigne les affections de la thyroïde, un nombre important de malades est victime d’effets indésirables, et doit faire des pieds et des mains pour se procurer l’ancienne formulation, avec laquelle ils n’ont aucun problème. Le laboratoire se fait plus que tirer l’oreille pour continuer à fabriquer le produit, et le lobby qui le soutient a mené une campagne visant à faire passer ces patients pour des malades imaginaires.

Le raisonnement qui a abouti au changement de formule est officiellement le suivant : il s’agissait de remplacer le lactose précédemment utilisé comme excipient, par du mannitol, soi-disant pour assurer une meilleure stabilité du produit, qui était pourtant parfaitement toléré par les nombreux malades qui l’utilisent. Le mannitol, tout comme le lactose, étant considéré comme sans danger, la conclusion médicale était donc que les effets secondaires observés ne pouvaient pas exister en dehors de l’imagination des patients. Le fait que 17 000 personnes se soient manifestées pour des troubles tels que fatigue, vertige, douleurs musculaires nombreuses et variées, voire chute de cheveux ou dépression, ne semble pas affecter la bonne conscience d’une part importante du corps médical, confortablement assis sur des certitudes scientifiques. Même le lien éventuel du nouveau médicament avec le décès de 19 patients ne semblait pas troubler sa sérénité. Mais la donne a peut-être changé, avec une hypothèse avancée par plusieurs chercheurs : la présence en abondance d’un autre excipient, l’acide citrique, qui pourrait jouer un rôle dans l’apparition des effets secondaires. C’est en effet tout bête : on apprend en cours de chimie la réaction bien connue : acide plus base égale sel plus eau. Pour certains chercheurs, l’acide citrique pourrait diminuer l’efficacité du principe actif lui-même, et l’empêcher d’agir correctement.

Hypothèse intéressante, car elle pourrait forcer la communauté scientifique à prendre au sérieux les symptômes décrits par les principaux intéressés. Si cette controverse médicale trouvait un aboutissement, avec une explication rationnelle aux troubles constatés, on pourrait enfin s’attaquer au fond du problème : pourquoi Merck a-t-il voulu changer sa formule et pour quelle raison refuse-t-il avec entêtement de continuer à délivrer l’ancien médicament ? Ne serait-ce pas tout simplement parce que la molécule mise au point par le laboratoire va tomber dans le domaine public et que des génériques beaucoup moins coûteux vont être mis sur le marché ? Cette fois, nous ne sommes plus dans le domaine de la chimie, mais bien dans celui de l’alchimie. Celle qui permet de transmuter la souffrance humaine en bon et bel argent, tout comme la pierre philosophale permettrait de transformer le vil plomb en or.