Exorbitant

Emmanuel Macron restera l’homme de la poudre de perlimpinpin, Guillaume Pepy, celui des carabistouilles, et Bruno Le Maire pourrait entrer dans l’histoire comme celui du privilège « exorbitant » que constituerait le statut des cheminots. Bien entendu, comme tout technocrate qui se respecte, le ministre de l’Économie emploie ce terme dans son sens originel, c’est-à-dire ce qui déroge aux habitudes, qui sort de l’ornière des usages courants. Il ne peut toutefois éviter d’être entendu dans le sens commun qu’il a pris, celui d’une mesure de faveur excessive et injustifiée.

Et donc Bruno Le Maire, entre les mille disparités qui caractérisent la société française, se déclare choqué de celle qui s’applique aux salariés des chemins de fer. Conscient tout de même que ces maigres avantages ne sont pas à l’origine des difficultés financières récurrentes de la compagnie, il précise que les économies qui pourraient être réalisées sur le dos des salariés sont minimes, mais qu’il les fera quand même au motif qu’il « n’y a pas de petites économies ». Je me permets une suggestion. Dans sa chasse aux gaspis, il existe un salaire à la SNCF, que je qualifierai volontiers d’exorbitant, dans tous les sens du terme, et c’est celui du PDG, Guillaume Pepy, qui perçoit une rémunération atteignant le plafond de 450 000 euros annuels depuis 10 ans. Mais apparemment, cela ne choque en rien le ministre, qui a perçu lui-même plus de 93 000 euros dans l’année 2016, avant de toucher ses près de 10 000 euros mensuels au gouvernement.

Évidemment, à Bercy, Bruno Le Maire est aux premières loges pour observer les écarts abyssaux de rémunération dans le secteur privé, à côté desquels les salaires de ministres sont quantité négligeable. Prenons une autre entreprise où se déroulent des mouvements sociaux actuellement : Air France. On peut discuter de l’opportunité d’augmenter les pilotes, qui touchent des salaires plutôt confortables, mais Bruno Le Maire a-t-il jugé « exorbitante » la hausse de rémunération des dirigeants, de 41 à 67 % en deux ans, et en particulier celle de son ancien PDG qui a touché plus d’un million d’euros en 2015 ? Et l’on refuse les miettes aux stewards et aux hôtesses, ou au personnel au sol ? Si être « exorbitant » consiste à sortir des sentiers battus, alors il serait grand temps en effet de quitter les ornières d’une société profondément inégalitaire dans laquelle les exceptions de réussite sociale de quelques individus issus des milieux populaires ne servent qu’à masquer la règle générale qui veut que les inégalités massives se perpétuent et se répètent sans que cela trouble le moins du monde le sommeil des héritiers qui nous gouvernent en toute bonne conscience, se permettant de supprimer les maigres acquis péniblement conquis de haute lutte, sans jamais s’inclure dans les sacrifices qu’ils imposent aux plus démunis.