Les fonds qui manquent le plus

Un riche rock and roller, sentant sa mort prochaine, fit venir ses enfants, leur parla sans témoins. Apprenez, leur dit-il, que je suis né dans la rue, et que j’y finirai, dans la poussière et les bras en croix. Pour tout bagage, j’avais ma gueule, je vous la laisse, il faudra faire avec, c’est là le sort commun. Je voulais devenir acteur, mais c’est comme chanteur que l’on m’a reconnu. À toi, David, je lègue le goût de la musique, et à toi, Laura, celui de la comédie et de la tragédie. Faites-en bon usage.

Vous partez dans la vie avec le meilleur héritage qui soit : la notoriété. Moi j’ai dû me battre incessamment pour la conquérir puis la conserver. À vous deux, je veux transmettre ce trésor qui m’a animé jusqu’à mon dernier souffle, l’envie d’avoir envie. Qu’il vous serve de viatique. Labourez sans relâche le terrain artistique, creusez-y votre propre sillon, faites oublier Jean-Philippe Smet, afin que l’on dise bientôt qu’il était le « père de » et que l’on cesse de vous considérer comme « fils ou fille de ». J’ai conscience que ces belles paroles ne remplaceront pas les espèces sonnantes et trébuchantes que vous escomptiez, et que peut-être vous considériez comme un dû, en compensation du manque de temps passé en commun à cause de mon métier. C’est comme ça. Vous, vous avez le talent, vous vous en sortirez toujours. Eux n’auront que l’argent, et c’est bien peu de chose à l’échelle d’une vie.

Voilà probablement ce que Johnny aurait dû faire et dire, s’il en avait eu le courage. Il semblait conscient du chaos que sa disparition allait entraîner dans une famille qui n’avait jamais su se recomposer et où les rivalités s’étaient exacerbées avec les disputes liées à l’argent comme prétexte et symbole d’antagonismes plus profonds et plus affectifs. Il a probablement choisi de ne pas choisir et d’acheter une paix lui permettant de finir ses jours en évitant les drames et les conflits. Les aspects juridiques du dossier laissent présager une guerre de succession longue et pénible pour les survivants. Le chanteur belgo-helvéto-franco-américain n’était peut-être pas un homme d’affaires lui-même, mais il a été entouré de spécialistes de la fiscalité qui ont embrouillé à plaisir sa situation financière pour « l’optimiser » et échapper au maximum à l’impôt. La sagesse voudrait que les aînés de ses enfants se contentent d’un droit moral sur le patrimoine artistique laissé par leur père, mais l’appât du lucre et du gain est souvent plus fort que la morale, fut-elle celle de Jean de La Fontaine.

Commentaires  

#2 jacotte 86 16-03-2018 11:39
mais souvent une démarche nécessaire pour faire son deuil et faire reconnaitre sa filiation...je sais de quoi je cause!!
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#1 poucette 16-03-2018 11:30
les histoires d'héritage règlent bien plus que les problèmes de gros sous et sont aussi des règlements de frustrations qui ont été occultées et tues c'est parfois bien triste et moche.....
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