Ni oui ni non

Vous vous souvenez de ce jeu qui faisait fureur il y a quelques années déjà ? Oui ? Perdu ! Les ministres du gouvernement Macron ont le droit d’employer le oui ou le non, mais avec parcimonie et à bon escient. Il est recommandé de faire précéder l’affirmation ou la négation d’une périphrase tendant à faire oublier à l’interlocuteur, généralement un journaliste, le sens précis de la question. A minima, un simple « écoutez » peut permettre de gagner du temps, assorti le cas échéant d’un « je vais répondre à votre question, mais ».

Il y a cependant un mot totalement interdit, qu’il ne faut surtout jamais employer, même encadré de force guillemets, et c’est celui de négociation. Qu’on se le dise, le gouvernement est un chaud partisan de la concertation, mais il abhorre la négociation. Pourquoi ? C’est facile à comprendre. Négocier implique de reconnaitre à son interlocuteur une qualité et une légitimité équivalente à la sienne, et sous-entend que chacun devra faire des concessions pour parvenir à un accord. Ce qui est hors de question quand on représente un pouvoir jupitérien, que l’on incarne la verticalité et la fonction régalienne. JE consulte, puis JE tranche. Ce matin sur France Inter, la ministre des Transports a failli réaliser un sans-faute en ressassant à l’envi le désir de concertation du gouvernement, jusqu’au moment fatal où au détour de sa phrase de conclusion elle a lâché le mot tabou, celui de négociation ! C’est trop bête ! Que s’est-il passé ? Les nerfs, sans doute. Après plus d’une demi-heure d’interview passée à se surveiller, comme le candidat malheureux laissait parfois s’échapper le oui ou le non fatal qui ruinait tous ses espoirs de gain, Élisabeth Borne annihilait ses efforts au tout dernier moment.

C’est d’autant plus ballot qu’elle avait réussi à éviter soigneusement de prononcer le mot « problème », presque aussi tabou que celui de négociation, en employant systématiquement le mot « sujet » en son lieu et place. Vous aurez remarqué que c’est la dernière mode chez les politiques que d’évoquer des sujets, qui peuvent même être de « vrais » sujets. Quid des autres ? Ce seraient donc de faux sujets ? Voilà qui rappelle furieusement la célèbre phrase d’Henri Rochefort qui ouvrait ainsi le premier numéro de son journal, la Lanterne, en 1868 : « la France compte 36 millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement ». En 150 ans, la population a augmenté de trente millions de citoyens et presque autant de motifs de grogne sociale. Nous sommes formellement en République, mais l’exercice du pouvoir n’est pas si éloigné de ce Second empire que critiquait Rochefort en son temps. Oui, ou non ? Encore perdu !