Joli-cœur

Mayotte, c’est loin. C’est trop loin. C’est à 8000 km de Paris. Et surtout, ça ne rapporte pas assez, ni en termes de popularité, ni en termes économiques, ni en termes d’image. Alors on va être efficace et pragmatique. À toi, Annick Girardin, les sifflets et les caillassages éventuels, à moi, Joli-cœur premier, le faste de la visite d’état à New-Delhi, les vivats de la foule soigneusement triée sur le volet, et la gloire des promesses de contrats juteux que l’on peut faire mousser pendant des semaines, bien que rien ne garantisse leur mise en œuvre effective.

Pour ceux qui, comme moi, sont assez médiocres en géographie, rappelons que l’Inde et l’ile française de Mayotte sont bordées par le même océan indien, et que si le temps de vol est sensiblement plus court pour se rendre à la première destination, à l’échelle planétaire la différence n’est pas décisive. Je ne prétends pas que le président d’un pays comme la France doive négliger un partenaire aussi important que l’Inde et son milliard 300 millions d’habitants, mais simplement que cela fait trop longtemps que le 101e département français est resté négligé de la métropole et qu’une visite d’état, accompagnée de mesures concrètes, n’aurait pas été du luxe pour manifester la volonté du gouvernement de prendre enfin à bras-le-corps les problèmes de l’ile. Voilà maintenant 3 semaines que Mayotte est en état de crise majeure avec une grève générale illimitée et une situation proche de l’implosion sociale. Les Mahorais sont au bord de la crise de nerfs et la réponse de la ministre en termes de renforts de police et de gendarmerie n’est pas à la hauteur de la situation. Il s’agirait de mettre en place un véritable plan Marshall avec des moyens conséquents pour commencer à réduire l’écart de développement avec la métropole dans tous les domaines.

Le président Macron hérite de ce problème qui existe depuis longtemps, mais au lieu d’ironiser sur les kwassa-kwassas, ces bateaux mahorais dont il disait en juin dernier qu’ils pêchaient moins qu’ils ne ramenaient des Comoriens, il aurait dû prendre la question au sérieux et refuser de pérenniser une inégalité criante de traitement entre citoyens français. Évidemment, il est plus facile de déléguer à une ministre subalterne du gouvernement, dépourvue de moyens d’action, la tâche délicate de faire tomber la tension et de tenter de ramener un semblant de calme à l’aide de vagues promesses qui n’engageront que ceux qui les croiront. Et il s’étonnera, et même s’indignera que les journalistes français mettent l’accent sur sa visite « privée » au palais du Taj Mahal, soigneusement chorégraphiée pour que les photographes immortalisent cet instant de pur glamour en compagnie de la première dame dans un décor de rêve !