Sans déconner ?

Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, annonce son départ du Parti socialiste. Sans déconner ? ça veut donc dire que jusqu’à présent, il ne s’était pas aperçu d’une légère contradiction entre son engagement dans un parti de gauche et la politique menée par le nouveau Président de la République ? Personne ne l’avait prévenu que le Premier ministre, Édouard Philippe, était issu des rangs des Républicains, contre lesquels il n’a cessé de batailler ? Sans compter ses collègues ministres encartés dans ce même parti comme Bruno Le Maire ou Gérald Darmanin qui ont finalement opté pour la formation politique d’Emmanuel Macron.

Ce qui est le plus surprenant dans cette histoire, ce n’est pas que Jean-Yves Le Drian se soit enfin décidé à tirer toutes les conséquences de sa dérive politique, mais plutôt qu’il ait réussi à rester pendant 44 ans au sein d’une formation politique dont il n’a cessé de s’éloigner en oubliant les idéaux qui ont été probablement à l’origine de son engagement. Un rapide coup d’œil à sa biographie montre qu’issu d’une famille marquée par le syndicalisme catholique, il a milité au sein de la Jeunesse étudiante chrétienne et qu’il a participé activement à Mai 68 sous la bannière de l’UNEF. Quand Jean-Yves Le Drian adhère au parti socialiste en 1974, François Mitterrand se présente pour la deuxième fois à l’élection présidentielle après avoir réussi à mettre de Gaulle en ballotage en 1965, et l’hypothèse de l’accession au pouvoir du nouveau parti socialiste fondé en 1971 au Congrès d’Épinay n’est plus aussi improbable.

À cette époque, après avoir subi le gaullisme, le pompidolisme et le giscardisme, la « génération 1977 » s’attèle à la conquête de municipalités pour construire un socialisme de terrain, prélude à une victoire électorale nationale qui arrivera en 1981. Jean-Yves Le Drian dirigera la ville de Lorient pendant 17 ans. Il occupera également des fonctions ministérielles à plusieurs reprises. Et c’est peut-être là où le bât blesse. Je ne connais pas d’exemple d’homme ou de femme politique que l’exercice du pouvoir ait radicalisé dans ses opinions, alors que l’inverse se vérifie quotidiennement. Après avoir soutenu Hollande et Valls, il appellera à voter Macron dès le premier tour des présidentielles de 2017. Il justifiera ainsi a posteriori le surnom que lui avaient donné ses « camarades » socialistes en le traitant de « saumon rose » pour sa capacité à remonter les courants qui traversent le PS. On pourrait paraphraser à son sujet la déclaration émouvante d’Annie Girardot qui recevait un César en 1996 après une longue éclipse : je ne sais pas si Jean-Yves Le Drian manquera au socialisme, mais j’espère que le socialisme manquera à Jean-Yves Le Drian, comme ses années de jeunesse où tout semblait possible.