Baromètre

Je vais vous parler d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Au lieu de consulter la chaîne météo, d’écouter les innombrables bulletins diffusés à la radio ou à la télévision, ou encore de demander à Saint Gogol : « quel temps va-t-il faire aujourd’hui ? », figurez-vous que dans certaines maisons, autrefois, on tapotait doucement un instrument bizarre, généralement en cuivre, pour connaître la tendance et en déduire le temps qu’il allait faire à plus ou moins brève échéance. Le cadran était gradué en bars, d’où le nom de baromètre.

L’appareil mesurait la pression atmosphérique et comportait des indications « en clair » pour les béotiens que nous étions pour la plupart : les basses pressions signifiaient qu’une dépression se formait, donnant de la pluie et du vent pouvant aller jusqu’à la tempête, tandis que les hautes pressions annonçaient le beau temps et même la canicule. Entre les deux, la tendance était dite variable. Inutile de vous dire que dans ma Bretagne natale l’aiguille restait souvent bloquée du côté obscur de la force. Les temps ont changé, et cet instrument, arboré fièrement aux devantures des magasins d’optique ou des boutiques de souvenirs a presque entièrement disparu de la circulation. Les millibars ont cédé la place aux hectopascals et Arletty ne promène plus sa gueule d’atmosphère sur le canal Saint Martin, mais le nom de baromètre a été repris par un institut de sondage associé à un magazine hebdomadaire pour publier mensuellement la cote de popularité des personnalités politiques les plus en vue.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce baromètre annonce rarement le beau temps. Les deux personnalités les plus scrutées sont naturellement le président de la République et son Premier ministre. Même eux, ont depuis un moment croisé leurs courbes de satisfaits et de mécontents. La satisfaction à l’égard du chef de l’état n’aura duré que quelques mois, avant de plonger inexorablement vers le niveau de son score au premier tour des élections présidentielles, un niveau bas qu’il n’est même pas sûr de conserver, tant la déception semble inéluctable après un engouement peu fondé. Comment peut-on gouverner avec si peu d’opinions favorables ? cela ne semble pas affecter nos dirigeants qui continuent imperturbablement à vouloir réformer à marche forcée selon le principe : « tout changer, pour que rien ne change ». Il faut dire que l’opposition n’est pas mieux lotie, les personnalités les plus appréciées plafonnant autour des 20 %. Quant aux ministres, on présente fréquemment celui de l’Éducation nationale comme le chouchou des Français alors que le baromètre lui donne 16 % d’opinions favorables. Mais il n’y a « que » 33 % de mécontents parce qu’en fait, la moitié des sondés ne se prononcent pas, soit parce qu’ils ne le connaissent pas, soit parce qu’ils s’en moquent. Bref, encore un avis de grand frais en perspective.