Perdant-perdant

Souvenons-nous. C’est en 2007 que la candidate de gauche à l’élection présidentielle tentait de rassembler les électeurs autour d’un projet qu’elle voulait mobilisateur. Parmi ses propositions, Ségolène Royal mettait en avant le concept de « gagnant-gagnant » emprunté à la psychologie et à la médiation d’entreprise. On peut le rapprocher de l’idée souvent évoquée de sortir d’un conflit « par le haut » ou de l’expression chère à l’ancien syndicaliste aujourd’hui disparu, André Bergeron : « avoir du grain à moudre ». On connait le résultat de la présidentielle de 2007 et l’actualité récente semble portée sur l’idée opposée de « perdant-perdant ».

Prenons par exemple la guéguerre à laquelle se livrent actuellement TF1 et les diffuseurs de programmes. Faute d’un accord sur les conditions financières, Canal plus a décidé de couper l’antenne aux chaines du groupe de Martin Bouygues. Il pourrait être rejoint par Free et Orange. Résultat du conflit : des pertes immédiates de recettes publicitaires pour TF1, et de nouvelles pertes d’abonnés à terme pour les chaines à péage. Faute d’un armistice ou au moins d’un cessez-le-feu rapide, c’est tout le secteur télévisuel qui y perdra, les jeunes ayant toutefois la possibilité de recourir à Internet pour suivre leurs programmes favoris.

Plus grave, la décision unilatérale du président américain de relever de 25 % les droits de douane sur l’acier importé par les États-Unis et 10 % sur l’aluminium. Cette mesure, qui reste à confirmer, a entraîné la démission d’un de ses principaux conseillers économiques, qui estime que l’impact sur le marché intérieur entraînera la perte de 130 000 emplois, du fait d’une répercussion sur les prix à la consommation et du désordre dans les règles du marché domestique. Sans compter évidemment les conséquences des mesures de rétorsion que prendront les pays lésés par l’attitude de Donald Trump, qui relèveront aussi leurs taxes sur les produits américains. Si les pays industrialisés font tant de concessions pour parvenir à des accords commerciaux, souvent au détriment malheureusement des consommateurs que nous sommes, c’est bien parce que c’est bon pour les affaires. À vouloir gagner un peu plus pour redorer un blason quelque peu terni, Donald Duck va faire perdre gros à tout le monde.

Restent les cas les plus extrêmes où toutes les parties en présence sont perdantes, et ce sont bien entendu les conflits ouverts. La Syrie, bien sûr, mais aussi le Yémen, la Palestine ou le Sahel, sans compter toutes les poudrières qui peuvent exploser d’un moment à l’autre, à commencer par la Corée, et aussi l’Iran, la Turquie, l’Irak ou l’Ukraine. Comme toujours, dans ces marchés de dupes « perdant-perdants » ce sont les populations civiles qui ont le plus à perdre, parce que, paradoxalement, quand on n’a plus rien, il ne reste plus que sa vie à jouer.