Avez-vous eu du mérite ?

Autrement dit, pensez-vous avoir eu droit dans votre vie pour quelques actions que vous ayez faites, à des récompenses, à la reconnaissance d’autrui ? Il est à parier que dans maintes occasions vous ayez dû faire des efforts pour surmonter des difficultés, grâce à diverses qualités morales, intellectuelles, voire physiques, qui vous ont fait reconnaître comme étant une personne de mérite.

Ce concept de mérite est une notion morale qui épouse le contexte de l’air du temps… Avant la Révolution française, le mérite dépendait de ce que l’on était, après il résultera de ce qu’on a fait. Le mérite devient le fondement de l’égalité républicaine, il permet le passage de la distinction sociale liée au sang, à une autre liée à la mesure des capacités. En application de l’élitisme républicain, la valeur des talents doit se traduire par des avantages, des positions. Le terme est resté, l’idée s’est transformée, s’éloignant de la dimension morale et de la notion d’effort, on mesure performance et rendement, le mérite doit être quantifiable pour être rétribué. On gagne des promotions « au mérite ».

Le mérite devient une machine pour justifier les inégalités y compris les moins justifiables, l’étranger doit « mériter » son droit de séjour, l’artiste doit mériter ses subventions…

On pose l’individu comme unique responsable de sa réussite, abstraction faite des conditions physiologiques, psychologiques, sociales, chacun se trouve réduit à une somme de compétences constructibles, mesurables, utilisables, c’est l’idéologie de la méritocratie. Cette idéologie qui amène à accepter la hiérarchie des valeurs de salaire en fonction des diplômes par exemple. L’institution scolaire, dans le souhait de réduire l’injustice qui frappe les plus démunis, prône « l’égalité des chances » en mettant en place des structures d’aide ou de promotion (pour l’accès aux grandes écoles par exemple). C’est un coup d’épée dans l’eau, et un écran de fumée tant que perdurent les inégalités réelles. Il existe une tension évidente entre égalité et mérite, la référence au mérite se travestit en culte de la réussite, il faut mériter sa Rolex ou son costume trois-pièces, or il y a des réussites sans effort, donc sans mérite. Chacun est censé mériter quelque chose, même la beauté, comme le dit le slogan de L’Oréal « parce que vous le valez bien ».

Peut-on sauver cette notion de mérite ? Sûrement, car mérite et démérite traduisent notre besoin d’estimer la valeur d’autrui afin de vivre dans un monde humain, la reconnaissance du mérite devient alors non pas une récompense, mais un système incitatif de motivation. On ne peut renoncer à ce concept, il garde une fonction, contrebalancer les effets excessifs et niveleurs de l’égalitarisme, et répond aux besoins d’obtenir l’estime de soi et la reconnaissance d’autrui. L’existence de distinctions officielles comme l’ordre du mérite agricole, l’ordre du mérite maritime, l’ordre du mérite militaire puis, plus récemment, l’ordre national du mérite n’a peut-être pas d’autre justification.

En récompense de mes efforts de ce jour pour rédiger mon billet, j’espère avoir mérité votre attention et votre indulgence, mérite modeste, mais mérite quand même.

L’invitée du dimanche

Commentaires  

#2 jacotte 86 04-03-2018 11:58
on peut relire (remonter le temps avec le calendrier du blog) le billet du 24 avril 2016 dont j'avais oublié l'existence et qui traite du mérite avec un autre angle... les deux se complètent bien montrant la cohérence de mes propos
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#1 Claude 04-03-2018 10:01
Vaste sujet où je te rejoins parfaitement.Peut-être pourrait-on y adjoindre un jour une réflexion sur la chance, supposée compenser l'inaccessibilité de la réussite fondée sur le mérite. Une chance au tirage et une autre au grattage, en quelque sorte.
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