Un air de liberté

Le meilleur imitateur de Jean D’Ormesson vient de mourir et c’est l’académicien lui-même. À chacune de ses apparitions radiophoniques ou télévisées, il prenait un malin plaisir à se parodier en exagérant une voix de fausset devenue sa marque de fabrique. Il pratiquait volontiers une autodérision de façade, préférant, tel Cyrano, se servir à lui-même les critiques avant qu’on ne les lui inflige, et plus durement. Foncièrement de droite, il s’est appliqué à le faire oublier en maniant la langue française avec habileté et en s’efforçant de charmer son auditoire sous un regard devenu légendaire.

Il s’amusait d’avoir été doublé sur sa droite par des intellectuels se prétendant de gauche alors qu’ils défendent des positions plus réactionnaires ou conservatrices que ne l’étaient les siennes. Ses convictions n’avaient sans doute pas disparu, mais il préférait de beaucoup apparaître comme consensuel, dans une posture de vieux sage, revenu de tout, négligeant ostensiblement les honneurs auxquels sa fausse modestie lui interdisait d’attacher une quelconque importance. Ce qui ne l’empêchait nullement de cabotiner à chaque occasion et de faire étalage d’une culture encyclopédique tout en feignant l’humilité. Ce portrait d’un honnête homme, au sens du 17e siècle, c’est-à-dire un être doté d’une culture générale et de qualités sociales étendues, ne doit pas nous faire oublier le polémiste engagé, le patron du Figaro, qui croisait le fer à l’occasion avec le directeur de l’Humanité.

C’est ce Monsieur D’Ormesson là que Jean Ferrat pourfendait dans sa chanson consacrée à la guerre du Vietnam, reprenant une déclaration mal venue sur un supposé air de liberté qui flottait sur Saigon avant l’indépendance et le changement de nom en Hô Chi Minh ville. Il lui rappelait alors que son journal, le Figaro, avait tiré son nom du personnage de Beaumarchais, dont il reprenait la devise : « sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur » et qu’il devait se retourner dans sa tombe en voyant ce qu’il en avait fait. Malgré le succès de la chanson de Ferrat, Jean D’Ormesson avait en quelque sorte remporté la première manche en survivant assez largement au chanteur, décédé en 2010. Sa longévité ne lui aura cependant pas permis de faire oublier totalement ses engagements partisans, et le fait qu’il se soit trouvé du mauvais côté dans la politique coloniale de la France, et plus tard des États-Unis. Les voilà remis à égalité, et si j’admire l’esprit de l’un, je resterai proche du cœur de l’autre. Sont-ils réunis dans un hypothétique au-delà, celui qui croyait au ciel, et celui qui n’y croyait pas, et continuent-ils à débattre, avec passion, de l’organisation d’une cité idéale ?

Commentaires  

#1 jacotte 86 05-12-2017 11:44
y aura-t-il-quelques voix dissonantes comme la tienne mais un peu plus répandue pour ne pas faire croire que la mort excuse tout et rend amnésique
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