Secret Story

S’il est en France un secret mieux gardé encore que celui de la confession, c’est bien le secret fiscal. C’est celui que se voient opposer les parlementaires qui ont l’outrecuidance de demander des comptes au gouvernement sur l’impact de la transformation annoncée de l’ISF, l’impôt sur la fortune, en IFI, impôt sur la fortune immobilière. Une pétition circule actuellement pour que le ministre de l’Économie publie le détail du manque à gagner que cette mesure ferait subir au budget de l’état, en d’autres termes, combien les 100 principaux contribuables de cet impôt y gagneraient.

Croyez-le ou non, Bruno Le Maire semblerait préférer se faire extirper la tripaille à chaud plutôt que de révéler la liste des bénéficiaires et le montant du cadeau fiscal fait à chacun. On se souvient de l’effet dévastateur sur l’opinion publique du chèque de remboursement établi à feu Liliane Bettencourt au nom du bouclier fiscal instauré par Nicolas Sarkozy. On parlait à cette époque d’un montant entre 30 et 100 millions d’euros. Une somme invérifiable puisque la loi interdit la divulgation de ces informations fiscales nominatives. Et cela ne date pas d’hier : déjà en 1971, le Canard enchaîné bravait l’interdiction en publiant la feuille d’impôt du Premier ministre, Jacques Chaban Delmas, grâce à des fuites savamment orchestrées par le ministre des Finances de l’époque, un certain Valéry Giscard D’Estaing. Chaban ne s’en remettra pas et échouera dans sa candidature à l’Élysée, face à ce même Giscard.

La même mésaventure aurait pu guetter Emmanuel Macron, quand il était simple ministre et qu’il avait omis de réajuster la valeur réelle des biens de son épouse en 2013 et 2014, échappant ainsi à l’ISF, jusqu’à ce que le fisc l’oblige à rectifier le tir. On comprend pourquoi il garde une dent contre cet impôt et se sent solidaire de ceux qui s’en acquittent, contraints et forcés. Le secret fiscal protège les citoyens les plus fortunés, alors qu’ils s’échinent à expliquer qu’il n’y a rien de honteux à être riche et prétendent que cela devrait au contraire être un sujet de fierté, comme dans les pays anglo-saxons. Que ne publient-ils pas spontanément leur dossier fiscal pour couper court à toutes les spéculations ! On attend avec intérêt leur coming out. D’autant qu’en vérité ce secret n’est qu’un secret de polichinelle. Les magazines spécialisés publient régulièrement la liste des plus grosses fortunes, comme le classement de Forbes. Le Canard, toujours lui, a pu ainsi estimer le gain de Bernard Arnault, numéro un français de ce palmarès, avec 60 milliards de dollars à 150 millions d’euros par la simple baisse du taux d’imposition des dividendes de 60 % à 30 %. Il n’y a pas de petits profits.