Le mal français

OK ! c’est bon ! j’ai compris ! je ne suis pas totalement obtus, non plus. Quand le Président de la République nous explique, tout devient soudain plus clair. Ce qui montre bien qu’il a eu raison de descendre de son Olympe pour s’adresser aux Français « de base », bien trop éloignés des sommets jupitériens et de la pensée complexe pour saisir les nuances d’une situation croquignolesque, qu’ils se contentaient jusque-là de subir. Cette fois, le mal est bel et bien identifié : les Français sont victimes de leur jalousie maladive.

Quand un citoyen lambda, qui n’a même pas de quoi survivre jusqu’à la fin du mois sans l’aide alimentaire, apprend que ses concitoyens les plus riches vont s’enrichir encore plus grâce aux 5 euros prélevés sur son aide personnalisée au logement, au lieu de se réjouir de la situation agréable de son prochain, il est en proie aux affres de la jalousie et préfère se lamenter sur son propre sort. Il ne perçoit pas, le malheureux, que, sans le ressort puissant que constitue l’appât du gain chez les plus cyniques d’entre nous, et dont il semble totalement dépourvu, il ne pourrait même pas bénéficier des quelques miettes que les nantis consentent à lui laisser pour soulager leur conscience. On ne dira jamais assez à quel point le monde est bien fait pour les Macron et consorts qui ont l’intelligence de ne pas pousser au désespoir trop de pauvres qui pourraient leur couper l’appétit, ou pire, s’inviter au banquet. On en donne juste assez pour que chacun ait quelque chose à perdre et préfère le conservatisme à la révolution.

Car cette jalousie dénoncée par le Président n’a pas que des inconvénients. C’est elle qui permet de monter les Français les uns contre les autres. On va pouvoir brandir les avantages exorbitants des fonctionnaires supposés bénéficier d’un emploi à vie pour exciter le ressentiment des employés du secteur privé. On va dresser les chômeurs contre les salariés et vice-versa. On va dénoncer les « privilèges » relatifs d’une catégorie sociale pour dissimuler les inégalités les plus massives. On va monter en épingle certains statuts favorables vis-à-vis des retraites, comme celles des cheminots, et perpétuer les retraites chapeau des grands dirigeants d’entreprise qui se sont déjà goinfrés pendant leur période d’activité. En bref, on va grenouiller dans les bas-fonds et remuer la fange pour les gens qui ne sont rien comme nous l’explique si clairement notre pédagogue en chef, pour que dans les hauteurs d’un entre-soi olympien, les alpinistes, ces nouveaux aristocrates, mènent tranquillement jusqu’aux sommets de la richesse leurs cordées de privilégiés, laissant loin derrière eux les nombreux sherpas qui font l’essentiel du travail pour qu’ils en tirent toute la gloire.