Omerta

Depuis que la première victime de harcèlement sexuel a osé briser la loi du silence sur les agissements du patron de la boîte de production Miramax, Harvey Weinstein, les témoignages d’actrices se multiplient. Ce qui démontre, s’il en était encore besoin, que ce genre de pratique est monnaie courante dans le milieu du cinéma, et qu’il ne s’agit nullement d’un dérapage occasionnel, mais d’un système établi dans lequel les hommes détenant une parcelle de pouvoir considèrent le droit de cuissage comme un dû.

Il faut souligner le courage de ces femmes qui témoignent à visage découvert, au risque de ternir leur carrière, en sachant la difficulté pour les victimes de se déclarer comme telles. Notre société est tellement imprégnée de préjugés patriarcaux qu’il est encore compliqué de faire admettre qu’une femme agressée n’y est pour rien. La tentation est encore forte de soupçonner les femmes de provocation, tandis que les « pauvres hommes » seraient incapables de résister à la tentation. Dans le cas de Harvey Weinstein, la concordance des témoignages ne laisse guère de doute sur la préméditation de ses agressions, avec un mode opératoire constant, expression de ses fantasmes dignes d’un adolescent prépubère, mais malheureusement servis par une position dominante. Les actrices récalcitrantes savaient qu’elles prenaient le risque de voir le rôle pour lequel elles auditionnaient leur échapper et pouvaient craindre de voir leur carrière compromise ou même sabordée. C’est par ce chantage que le producteur tentait d’obtenir des faveurs sexuelles, et si cela ne suffisait pas, il n’hésitait pas à recourir à la force physique.

Apparemment, il ne se cachait même pas de ces pratiques honteuses et abusives, et tout Hollywood était au courant. Sa position sociale semble l’avoir mis hors d’atteinte des poursuites jusqu’à un passé récent, où il est devenu persona non grata, viré de sa propre boîte, infréquentable par les politiques qu’il a subventionnés, y compris les Clinton et les Obama. Que n’ont-ils fait connaitre leur indignation plus tôt ! car, une fois la branche malade coupée, le problème ne sera pas résolu pour autant. Les témoignages sont certes accablants pour le producteur, mais ils ne se limitent pas à sa seule personne. Les réalisateurs notamment sont fréquemment montrés du doigt. Leurs relations de domination avec les actrices franchissent parfois, pour ne pas dire souvent, la limite du professionnalisme. De même, le harcèlement touche les femmes dans à peu près tous les secteurs de l’économie, dès lors que les rapports sociétaux sont basés sur une inégalité de fait, malgré l’évolution timide du droit. Il faudra démasquer beaucoup de Harvey Weinstein pour inverser la tendance.