L’auberge catalane

Comme son homologue espagnole, on y trouve à boire et à manger, mais on y trouve surtout ce que l’on veut bien y chercher. Les Catalans étaient appelés à voter en faveur de l’indépendance de la région par leur gouvernement autonome, tandis que les autorités madrilènes, fortes d’une décision de justice, étaient déterminées à tout faire pour empêcher un scrutin illégal. L’affrontement était inévitable, et il n’a pas manqué de se produire. Dans sa volonté de répression, le pouvoir central n’aura réussi qu’à fabriquer des martyrs de la cause qu’il entend combattre.

Par chance pour les deux parties, il n’y a pas eu de morts, mais la Généralité barcelonaise revendique 884 victimes des violences policières, tandis que Madrid campe sur ses positions en rejetant la responsabilité des heurts sur les organisateurs du référendum. Si l’on peut juger la question de l’indépendance de la Catalogne de façon nuancée sur le fond, la forme choisie par le gouvernement de Mariano Rajoy, celle du tout répressif, ne peut être considérée que comme détestable et catastrophique du point de vue des anti-indépendantistes eux-mêmes. Quel que soit le bien-fondé réel ou supposé de cette consultation du peuple sur son droit à disposer de lui-même, la lui interdire revient à envoyer un signal fort et désastreux à l’encontre des libertés fondamentales. Le gouvernement conservateur espagnol apparait ainsi comme liberticide et aggrave encore son cas en s’entêtant à ignorer les revendications séparatistes d’une partie de la population catalane.

Car ce n’est pas le moindre des paradoxes, en rejetant la tenue de cette consultation populaire, l’état espagnol musèle l’opposition à l’indépendance, privée de toute expression publique, alors que selon certains sondages, elle serait majoritaire dans la province sécessionniste. Dans ce contexte, le résultat du référendum, forcément partiel et sans garantie de régularité des opérations, ne peut être que favorable à l’indépendance, ce qui serait d’ailleurs le cas à 90 % des votants. Ce chiffre ne peut pas être significatif dans la mesure où les opposants ne se sont pas rendus aux urnes, et que la participation ne dépasserait pas 50 %. Symboliquement, il restera cependant la référence dont pourront se targuer les partisans d’une Catalogne indépendante. Par ses maladresses, le parti populaire de Mariano Rajoy est en train de valider la procédure engagée par le président catalan, Carles Puigdemont, dont la position est cependant fragile puisqu’il est à la tête d’une coalition hétéroclite rassemblant des indépendantistes, des partisans de la gauche radicale et des modérés de Ciudadanos. Reste que les tendances centrifuges qui affectent de nombreux pays européens, dont la France, sont révélatrices d’un profond malaise et d’un manque de confiance dans les institutions centrales.