Humour juif

Le simple fait de s’interroger sur l’idée qu’il existerait un humour spécifiquement juif pourrait bien tomber sous le coup de la loi, tant le sujet est sensible et la frontière entre la dérision et l’antisémitisme ténue. On ne pourrait plus aujourd’hui commencer un spectacle comme le faisait Pierre Desproges en s’exclamant : « on me dit que des Juifs se seraient glissés dans la salle » sans être immédiatement confondu avec un antisémite avéré tel que Dieudonné, régulièrement passible de condamnations pour incitation à la haine raciale.

À dire vrai, on ne peut guère énoncer de blagues sur les Juifs, à moins d’être Juif soi-même et de pratiquer l’autodérision, sous peine d’être taxé d’antisémitisme. C’est pourquoi je ferai appel à une personnalité incontestée telle que Sigmund Freud, le père de la psychanalyse et de confession juive, pour illustrer mon propos du jour. Freud s’est intéressé au comique sous la forme de ce qu’il appelle le trait d’esprit, dans un ouvrage paru en 1905 : « le mot d’esprit et ses relations avec l’inconscient ». Je n’irai pas jusqu’à recommander la lecture sur la plage de cet ouvrage globalement austère, mais il contient quelques exemples de ces histoires juives qui ont précédé les blagues sur les belges ou sur les blondes. En voici deux sur le même thème : la première concerne un Juif qui en rencontre un autre devant la porte des bains douches municipaux et qui s’exclame : « un an déjà ! » La seconde rapporte ce dialogue entre deux protagonistes israélites : « tu as pris un bain ? —Pourquoi ? il en manque un ? »

Ces deux blagues se fondent sur la réputation faite aux Juifs d’être peu respectueux de leur hygiène corporelle. Comme dit le proverbe, calomniez, il en restera toujours quelque chose. C’est ainsi que les client juifs d’un hôtel suisse ont eu la désagréable surprise de découvrir une affichette à leur intention placardée à l’entrée de la piscine pour leur enjoindre de prendre obligatoirement une douche avant et après leur baignade, sous peine d’exclusion. Pour faire bonne mesure dans la discrimination, une autre affichette était placardée sur un congélateur réservé à la nourriture casher, demandant aux clients israélites de se conformer à des horaires précis. La directrice de l’établissement, après avoir été informée des protestations qui ont frôlé l’incident diplomatique entre la Suisse et l’État d’Israël, a retiré les objets du délit et reconnu que sa démarche avait été « naïve » et qu’elle aurait dû adresser sa recommandation à tous les clients. Dont acte. Mais il faut cependant noter que l’incident s’est produit dans un pays où l’extrême-droite raciste et xénophobe est très implantée.