Sentinelles

La récente attaque de soldats à Levallois-Perret par une voiture bélier pose une nouvelle fois la question de la pertinence du dispositif mis en place depuis janvier 2015. À l’origine, l’idée était de renforcer l’action policière en faisant appel à l’armée. Par qui faudra-t-il protéger l’armée qui semble devenue à son tour la cible privilégiée des actions terroristes ? Faudra-t-il poster des blindés à chaque carrefour pour dissuader les futurs djihadistes de s’en prendre à nos soldats ? Chacun voit bien que la surenchère ne mène nulle part, d’autant que son efficacité est contestée par les spécialistes.

Le choix du nom du dispositif, l’opération Sentinelle, n’a pas été fait au hasard. Nous connaissions déjà le plan « Vigipirate », qui met l’accent sur le côté moral de cette lutte en comparant les terroristes à des flibustiers ne respectant aucune des règles de la mer, et dont on ne peut se prémunir qu’en les guettant du haut de la hune pour les voir arriver. J’ai été frappé par plusieurs commentaires de politiques stigmatisant la « lâcheté » de ces attaques, comme s’il pouvait exister une lutte « propre » contre des islamistes qui respecteraient des règles d’honneur, à la manière codifiée des duels d’antan. Une sentinelle est un soldat placé à un endroit stratégique pour surveiller l’arrivée éventuelle de l’ennemi. Il est souvent victime des actions commando du fait de sa position exposée. Par analogie, et de façon vulgaire, une sentinelle peut aussi désigner un étron isolé au milieu d’une voie de passage, qui semble garder les lieux. Les militaires affectés à cette opération alors qu’ils pensaient en découdre sur les champs d’opérations extérieures ont dû plus d’une fois méditer sur l’inutilité apparente de leur tâche. De même qu’il est devenu impossible de sortir de l’état d’urgence, les gouvernements y regarderont à deux fois avant de stopper la présence de l’armée dans les lieux stratégiques, bien que cela coûte très cher pour un résultat peu quantifiable.

Nous sommes dans un conflit asymétrique. La France fait appel à ses forces conventionnelles : police, renseignement, armée. De l’autre côté, on trouve de plus en plus des « bras cassés » au comportement imprévisible, utilisant des objets du quotidien devenus des armes par destination, tels qu’un marteau, un couteau de cuisine ou une voiture. Pour certains, la frontière entre idéologie et psychiatrie est très floue. Faut-il être un peu fou ou totalement insane pour devenir un fou de dieu ? Quant aux « sains d’esprit », ils semblent beaucoup improviser. Quand on songe que l’agresseur de Levallois-Perret a pu être géolocalisé grâce à une puce dont était équipée sa voiture de location, cela démontre l’amateurisme de sa préparation. Ces « soldats » n’en sont que plus difficiles à détecter, seul le renseignement a une chance d’y parvenir.