Coupable, forcément coupable
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le mercredi 3 février 2016 10:50
- Écrit par Claude Séné
La décision de François Hollande d’accorder une remise gracieuse d’une partie de la peine infligée à Jacqueline Sauvage par deux jurys populaires successifs est intervenue plus rapidement que prévu et devrait permettre une libération conditionnelle dans un délai de quelques semaines. Cette grâce n’annule pas la condamnation, mais permet d’appliquer des circonstances atténuantes à cette femme autant victime que bourreau de son mari. Elle ne remet pas en cause non plus la définition de la légitime défense, qui reste basée sur la notion de simultanéité et de proportionnalité de la riposte. Elle a le mérite de donner un coup de projecteur sur les violences, notamment conjugales, faites aux femmes.
Car c’est là au fond que se noue toute l’affaire. Pendant les procès, il a beaucoup été reproché à Mme Sauvage de ne pas avoir porté plainte et d’avoir subi pour elle-même et ses enfants 47 ans de coups, de sévices et d’abus sexuels. Sans le dire explicitement, de victime elle est devenue coupable, coupable de ne pas s’être rebiffée, puis coupable de l’avoir fait. Et ce n’est pas un cas isolé. Tous les témoignages concordent. Il est extrêmement difficile en France de porter plainte contre un mari violent. La plupart des policiers et des gendarmes tentent de minimiser la gravité des faits, dont il est parfois difficile d’apporter la preuve. S’ils vous croient, ils auront tendance à vous demander ce que vous avez bien pu faire ou dire pour que votre conjoint se mette dans une telle colère, et dans le meilleur des cas, si vous insistez absolument, ils consentiront du bout des lèvres à établir une main courante, dont l’efficacité en matière de récidive est proche de zéro.
Toutes proportions gardées, le jugement de la société sur les femmes battues me fait penser à celui sur les Juifs, victimes de la Shoah. L’inconscient collectif a gardé l’image, largement erronée, de populations israélites qui se seraient laissées conduire vers une mort certaine sans tenter la moindre action pour échapper à leur sort, comme des animaux à l’abattoir. L’histoire a beau apporter un démenti formel à cette légende avec notamment l’épisode du soulèvement dans le ghetto de Varsovie, le mythe a la vie dure. Foncièrement, le patriarcat, où le chef de famille avait droit de vie et de mort sur sa femme et ses enfants, reste le modèle dominant, malgré certains aménagements. La malheureuse affaire de Jacqueline Sauvage sauvera peut-être quelques femmes qui oseront franchir le pas pour faire valoir leurs droits.