Le feu au lac
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le lundi 1 juillet 2024 10:29
- Écrit par Claude Séné
Les électeurs se sont prononcés et les résultats sont remarquablement conformes aux sondages d’opinion publiés depuis l’annonce surprise de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République, au soir des élections européennes, dissolution dont les raisons profondes continuent de nous échapper. Est-ce à dire que les instituts de sondage ont considérablement amélioré leurs techniques, au point de pouvoir prédire les comportements des électeurs, aussi bien, voire mieux que les Français eux-mêmes, dont beaucoup déclarent se décider au dernier moment, y compris jusque dans l’isoloir ? Pour une part, c’est possible. Mais personnellement, j’y vois le franchissement d’un seuil dans la « normalisation » du Rassemblement national.
Auparavant, les instituts de sondages étaient obligés d’appliquer des correctifs aux résultats bruts obtenus dans leurs enquêtes pour ajuster les scores de l’extrême droite qui auraient été sans cela sous-évalués. Le vote Front national restait largement honteux, même protégé par le secret de l’anonymat. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et les électeurs assument et revendiquent leur choix face caméra. On peut donc s’attendre à moins de surprises. Cependant, nous touchons, de mon point de vue, aux limites du mode de scrutin majoritaire à deux tours, imaginé et institué au service d’un seul homme, le Général de Gaulle, dont la plupart des successeurs ont eu du mal à endosser le costume. La Constitution instaurant la 5e république, malgré certaines retouches, reste basée sur la formation d’un mouvement politique autour d’un homme, à qui il suffit d’une majorité relative en voix, un « socle » parfois très limité au premier tour, pour s’assurer d’une majorité en sièges lui permettant de diriger le pays à sa guise.
Ce système, ingénieux à défaut d’être vraiment démocratique, a permis jusqu’ici d’écarter du pouvoir le Rassemblement national, voué aux places inconfortables d’éternels minoritaires, en vertu d’une règle instituant un « plafond de verre » à ses candidats. Visiblement, le verrou a sauté, la règle majoritaire peut se retourner contre ceux qui en ont bénéficié jusque-là, et propulser l’extrême droite au sommet de l’état, avec seulement un tiers des votants en sa faveur, sauf si les autres partis se liguent contre elle. Le nouveau Front populaire l’a bien compris qui appelle à faire battre le RN partout où c’est possible. On aurait aimé que le camp présidentiel soit aussi clair, mais ce ne sera pas le cas. Le risque est donc réel de laisser passer une majorité de députés RN pour tenter de sauver quelques sièges d’un régime agonisant. Contrairement au risque brandi en 2002 pour sauver le soldat Chirac nullement mis en danger par l’envahisseur Le Pen, il va falloir espérer encore dans une gauche réaliste votant contre nature en faveur du pyromane de l’Élysée pour éviter le pire, faire, en somme, la part du feu, sans pour autant se compromettre avec un macronisme à bout de souffle.