Faute avouée, vous êtes libre

C’est l’épilogue paradoxal du long feuilleton judiciaire qui a opposé le lanceur d’alerte australien, Julian Assange, qui a révélé au public des centaines de milliers de documents classés secrets sur l’attitude des États-Unis en Irak et en Afghanistan pendant les guerres menées dans ces deux pays, et l’administration de la justice américaine, qui réclamait son extradition en vue de le juger. Le journaliste encourait plusieurs condamnations, dont le total atteignait 175 ans de prison, les peines pouvant être cumulables dans le droit américain. Il a finalement négocié avec le département de la Justice, grâce à une procédure spécifique de plaider coupable.

En reconnaissant sa culpabilité dans une des procédures engagées contre lui, sa peine a été ramenée à 62 mois, déjà largement couverts par une détention provisoire à Londres, aux débuts de l’affaire. Ce qui lui permet de quitter libre aujourd’hui même le tribunal américain des iles Mariannes, après 14 années d’exil, passées notamment à l’ambassade de l’équateur à Londres. Il va pouvoir regagner l’Australie et se soigner après ses cinq dernières années d’incarcération, qui l’ont amené à un « état terrible » selon sa famille. C’est donc un soulagement pour lui, mais le fond de l’affaire reste intact. Julian Assange est un lanceur d’alerte. Il n’était à la solde de personne, et il a estimé, en son âme et conscience, qu’il était fondé à transgresser la législation américaine pour révéler et dénoncer des comportements pour le moins « inappropriés » de l’armée US dans les guerres menées au Moyen-Orient. En d’autres circonstances, on pourrait même considérer Julian Assange comme un héros, qui a contribué à moraliser autant que faire se peut les agissements de troupes d’occupation, quelle que soit leur nationalité.

Le paradoxe tient au fait que dans cette procédure, l’accusé doit d’abord reconnaitre sa culpabilité et accepter une sanction avant même l’examen des circonstances. L’état américain y gagne à la fois du temps, donc de l’argent, et se dote d’une bonne conscience, qui peut être purement formelle. L’accusé quant à lui échappe au risque d’une peine aléatoire, variable selon le jury, mais renonce de fait à toute contestation ultérieure, telle que faire appel sur la base d’aveux extorqués sous la contrainte par exemple. C’est une des raisons qui ont fait que notre justice, française et européenne, n’a pas généralisé la CRPC, Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, introduite en 2004 dans notre droit, mais réservée à des délits mineurs. Alors que les films américains regorgent de cas où les parties en présence négocient des compromis, où l’argent tient généralement le rôle principal. Des discussions de marchands de tapis qui ne nous font pas envier l’organisation de la justice américaine, malgré les imperfections de notre propre système.