Les risques du métier

L’émotion est restée vive après l’évasion spectaculaire d’un détenu au cours d’un transfert de justice, qui s’est soldée par la mort de deux de ses convoyeurs dans des circonstances dramatiques. Il se trouve que j’ai fait un bref passage professionnel comme enseignant dans le centre pénitentiaire de Nantes, à l’époque flambant neuf. Je continuais à percevoir mon salaire habituel par le ministère de l’Éducation nationale, et je percevais de la part du ministère de la Justice, une indemnité dite de sujétions spéciales, comparable à celle des surveillants, et surnommée familièrement « prime de risque ». J’en ai oublié le montant exact, mais ce n’était pas négligeable.

À cette époque, je n’avais pas du tout l’impression de courir un risque quelconque à venir exercer mon métier derrière les barreaux et à côtoyer des délinquants, dont j’ignorais la plupart du temps les raisons qui les avaient conduits là où ils étaient. Contrairement à Fleury-Mérogis, où certains détenus mineurs étaient soumis à l’obligation scolaire, tous mes « élèves » étaient volontaires et n’avaient aucune raison de s’en prendre à moi en particulier. Avec le recul, j’ai pris conscience, plus tard, que j’aurais pu me trouver pris dans un conflit, « à l’insu de mon plein gré », voire une rébellion ou une prise d’otage, comme cela est arrivé dans certains centres pénitentiaires. Il ne s’agit pas pour moi de justifier la tragédie qui s’est produite au péage d’Incarville en l’imputant à un simple risque encouru par le personnel pénitentiaire, et pour lequel il est indemnisé. Manifestement, quelque chose ne va pas pour que cela se produise. Quand les fonctionnaires chargés du transfert doivent affronter des malfaiteurs équipés d’armes de guerre, le combat est visiblement inégal, et il est illusoire d’envisager une escalade dans l’armement des forces de l’ordre.

Dans de telles circonstances, il me semble que les consignes devraient être données aux personnels de ne pas opposer de résistance. Tous les malfaiteurs évadés ont fini par être retrouvés, et Mohamed Amra n’échappera pas à la règle, quel que soit le temps que cela nécessitera. La vie des deux convoyeurs était plus importante qu’une blessure d’amour-propre liée à un renoncement provisoire. Sans rapport direct avec la tragédie, le malaise dans les prisons n’a fait que se renforcer ces dernières années, avec une surpopulation carcérale indigne d’un pays civilisé, et dénoncée régulièrement par les contrôleurs généraux des lieux de privation de liberté. La fuite en avant qui consisterait à augmenter indéfiniment le nombre de places en établissements pénitentiaires est une impasse. Les conditions de détention et les conditions de travail des surveillants en pâtissent nécessairement, et la prévention de la récidive devient un concept purement théorique.