La patrie reconnaissante

Autant de son vivant, Robert Badinter a pu être controversé, voire détesté, objet de toutes les attaques politiques du fait de son engagement à gauche, et cible des discours haineux à cause de son combat pour l’abolition de la peine de mort, autant il semble faire l’unanimité à son décès survenu le 9 février dernier à l’âge de 95 ans. Il ne s’agit pas seulement du phénomène bien connu qui veut que les défauts du défunt disparaissent avec le dernier souffle exhalé, et que les critiques fassent une trêve dans les polémiques éventuelles en oubliant momentanément les griefs parfois importants et les divergences qui les opposaient au disparu. Robert Badinter était devenu, non seulement un ministre de la Justice, mais l’incarnation même du combat pour la Justice.

Sans faire abstraction du talent d’avocat d’un de ses successeurs, actuellement installé à la Chancellerie dans l’hôtel de Bourvallais, Éric Dupont Moretti ne restera dans l’histoire que celui qui a souvent obtenu des acquittements, malgré les charges pesant sur certains de ses clients, au nom du principe qu’« il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent » selon le personnage de Voltaire, Zadig. Alors que Robert Badinter s’est confondu avec le combat de sa vie, celui de l’abolition de la peine capitale, qu’il a obtenu pour la France en 1981, dès l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, qui l’avait inscrit au premier rang de ses priorités sur son impulsion. Ce que l’on sait moins, c’est que Robert Badinter a continué le combat toute sa vie pour que cette peine barbare soit évacuée dans le monde entier, sans y parvenir totalement, notamment en Chine où des exécutions massives sont encore pratiquées ou dans certains états américains conservateurs.

L’hommage national qui sera rendu mercredi à ce grand défenseur des causes humanistes sera donc probablement sincère, à l’exception d’une petite frange incarnée par Marion Maréchal, qui a réussi à glisser son désaccord de fond avec l’ancien Garde des Sceaux sur son action politique en général, ce qui n’étonnera personne. La seule surprise étant que son courant de pensée, celui d’Éric Zemmour, déroge à la règle implicite de ne jamais dénigrer un mort, fût-il son pire ennemi. Malgré cette opposition marginale, la plupart des Français saluent la disparition de celui qui a forcé le respect par l’ardeur et la sincérité de ses combats (il a notamment permis la dépénalisation de l’homosexualité qui avait été remise sous le coup de la loi par l’état français du maréchal Pétain en 1942). Je ne serais donc pas surpris si le Président de la République, qui peine à trouver des sujets consensuels depuis sa réélection en 2022, décidait de proposer son inhumation sous la coupole du Panthéon, dont la devise s’applique bien à mon avis au personnage : « aux grands hommes, la patrie reconnaissante ».