Bébés requins

Ils sont trois et leurs dents rayent l’aquarium. Contrairement aux crocodiles dont on sait qu’ils ne peuvent pas cohabiter dans un même marigot, ces trois responsables de la jeunesse dans leurs partis respectifs se sont parlés et se sont même affichés tout sourire à la une d’un mensuel fondé par un proche de Marion Maréchal, qui annonce clairement la couleur : l’incorrect. Ce rapprochement entre les présidents ou représentants de la jeunesse des droites signe la fin d’un tabou qu’illustre le titre du journal : « les jeunes coupent le cordon ! »

Ce cordon, c’est tout d’abord l’image du cordon sanitaire qui a été déployé par la droite dite « classique » pour la séparer hermétiquement, en théorie, de l’extrême droite et la protéger de la tentation permanente d’une alliance considérée contre nature. Cette ligne politique a survécu bon an mal an, malgré des accrocs parfois au niveau local et quelques transferts de personnalités partant voir si l’herbe était plus verte dans le parti d’à côté. L’avènement d’Emmanuel Macron, et son positionnement intenable de ni droite ni gauche ont rebattu les cartes avec un effondrement des partis dits de gouvernement dans les résultats électoraux. L’hypothèse de l’accession au pouvoir de Marine Le Pen ne relève plus de la seule politique-fiction et la droite traditionnelle, profondément divisée, n’est plus aussi sûre de ne jamais boire de cette eau, si c’est la seule possibilité de se maintenir, même sur un strapontin. Un abime sépare Xavier Bertrand, réfugié dans sa propre région des Hauts de France pour faire pièce au Rassemblement national, et Éric Ciotti, le patron officiel des Républicains, qui n’a pas appelé à voter Macron en 2022.

Mais c’est aussi le cordon ombilical symbolique qui est coupé par les trois représentants de la jeune droite. Contrairement aux dirigeants en place dans le Rassemblement national, les Républicains, et Reconquête d’Éric Zemmour, ils ne voient aucun inconvénient à se parler, même s’ils ne sont pas d’accord sur tout, notamment sur la réforme des retraites. En réalité, ils sont d’accord sur l’essentiel : le nationalisme, le libéralisme, la limitation de l’immigration, l’autorité de l’état, le conservatisme en matière de mœurs, j’en passe et des pires… Ils partagent aussi le même embarras vis-à-vis de la Russie, leur ancien grand frère devenu infréquentable à cause de l’invasion de l’Ukraine, dont ils attendent qu’elle se rachète une conduite. Ces trois bébés requins semblent promis à un très bel avenir, comme en leur temps ces étudiants « ordre nouveau » d’Assas qui faisaient le coup de poing contre les « cocos » et les « gauchos » sous la bannière du GUD, avant de devenir des ministres gaullistes « respectables » comme Alain Madelin, Gérard Longuet ou Patrick Devedjian. Tout dépendra de la pérennité de la coalition des contraires créée artificiellement autour d’Emmanuel Macron, qui ne pourra pas se représenter.