Le grand méchant flou

Après le sauvetage mouvementé des 234 migrants repêchés en Méditerranée par l’Ocean Viking, nous assistons à un naufrage complet de nos institutions judiciaires, totalement dépassées par les évènements, et incapables de gérer la situation dans laquelle le gouvernement et le président de la République les ont plongés par un manque de préparation évident. C’est, bien sûr, pain béni pour les tenants du rassemblement national, et de leurs jusqu’au-boutistes avatars du mouvement d’Éric Zemmour, qui se sont répandus dans tous les médias pour déverser leur haine des étrangers, maquillée récemment en geste humanitaire. Ils ont beau jeu de dénoncer l’amateurisme du pouvoir et son impréparation.

La situation administrative des rescapés a été examinée par l’OFPRA, l’office français de protection des réfugiés et apatrides, qui a émis 66 avis favorables sur les 189 migrants adultes. Encore faut-il qu’un juge valide les demandes et le parquet de Toulon s’est déclaré incapable de traiter autant de dossiers dans le délai très court imparti par la législation en vigueur. Par conséquent, si les bénéficiaires éventuels d’un asile en France ou dans les 11 pays qui acceptent des réfugiés sont supposés pouvoir être pris en charge, les 123 déboutés sont remis dans la nature, dont 44 devraient être reconduites dans leur pays d’origine dès que leur état de santé le permettra. Quant aux mineurs isolés, au nombre de 44, ils ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance, mais 26 d’entre eux ont fugué et se retrouvent livrés à eux-mêmes. On ne peut pas de toute façon les emprisonner. On l’aura compris, c’est un fiasco administratif et humanitaire qui sert de prétexte à une partie de la droite pour emboiter le pas aux xénophobes patentés, dans un contexte de congrès des Républicains pour désigner leur président.

Pour une fois que le pouvoir faisait passer les motivations humanitaires avant l’application froide de réglementations le plus souvent absurdes, on ne peut pas dire que ce soit franchement une réussite. Alors, oui, Emmanuel Macron a eu raison d’accueillir le navire de SOS Méditerranée en dénonçant le refus de Georgia Meloni d’appliquer le droit de la mer, mais cela n’excuse en rien le manque de professionnalisme dans la gestion qui en découle. Le président a cédé à la peur des critiques et des procès en laxisme qui n’ont pas manqué d’en résulter. Quand des personnes, hommes, femmes, enfants sont en passe de se noyer, on ne fait pas la fine bouche, on les sauve. C’est ce qui a été fait dans un premier temps. Cela n’aurait aucun sens de les rejeter à la mer ensuite, mais c’est cependant l’option retenue en n’allant pas jusqu’au bout du sauvetage et en triant parmi ces malheureux ceux qui auront le droit de vivre dignement et les autres. Tous ceux qui ont survécu à un périple aussi risqué ont bien gagné le droit à une existence décente.