Y penser toujours, n’en parler jamais

La phrase est attribuée à Léon Gambetta, en novembre 1871, à propos du silence forcé sur la question de l’Alsace et de la Lorraine, perdues par la France au profit de l’Allemagne après la guerre désastreuse de 1870. L’espoir d’une revanche et de la restitution des deux provinces est dans tous les esprits, mais Gambetta pense qu’il est prématuré de l’évoquer publiquement, car le pays n’est pas prêt, militairement et moralement. Il y a eu, depuis, moult occasions de ne rien dire, pour éviter des situations pires que de se taire. C’est ainsi que l’on peut se demander s’il est bien utile d’évoquer la dissolution de l’Assemblée nationale, si l’on n’a pas l’intention de se servir de cette disposition.

La dissolution est en effet l’apanage du Président de la République, mais c’est un fusil à un seul coup. Si le résultat de l’élection n’est pas conforme aux souhaits présidentiels, il ne peut pas renouveler l’opération à sa guise. Jacques Chirac en a fait l’amère expérience en 1997, et il a dû appeler Lionel Jospin à former un gouvernement de cohabitation pour tenir compte du vote des Français. Emmanuel Macron semble être tenté de rappeler les électeurs aux urnes, mais il l’utilise plus comme une menace que comme une option réelle. Les groupes d’opposition, à l’exception des Républicains, qui pourraient y perdre plus que les autres, se disent prêts et le mettent au défi de prendre le risque. Une situation qui rappelle furieusement le principe de la dissuasion nucléaire. L’ennemi doit savoir que nous possédons l’arme, mais rester dans l’ignorance de notre stratégie et des conditions qui pourraient nous amener à l’utiliser. C’est cette incertitude même qui conduirait les uns et les autres à rester prudents.

À trop dévoiler ses intentions, on perd en crédibilité. Il n’est malheureusement pas exclu que Poutine utilise l’arme nucléaire dans le conflit qu’il a déclenché avec l’Ukraine, mais la probabilité de cet acte de désespoir est faible, bien que la propagande russe dise le contraire, en rejetant la faute sur l’adversaire. Emmanuel Macron, en invoquant une dissolution punitive à chaque instant, veut peut-être sonder l’opinion, et rejeter par avance sa responsabilité en cas de crise parlementaire ouverte. Tout comme Jacques Chirac en 1997, Emmanuel Macron pourrait dissoudre l’Assemblée pour assoir sa majorité et éviter les voix discordantes au sein de son propre gouvernement, où des candidats potentiels à sa succession ne font pas mystère de leurs ambitions. L’un, Gérald Darmanin, suit clairement le parcours de son modèle, Nicolas Sarkozy, et pense visiblement aux présidentielles en évitant de se raser. L’autre, Bruno Le Maire, s’inspire du président actuel lui-même, qui était resté en embuscade à Bercy, jusqu’à sa campagne éclair et sa victoire surprise de 2017. Sans oublier Édouard Philippe, toujours « en réserve de la République », qui pourrait torpiller la majorité potentielle en jouant sa carte personnelle.