Le rouge est mis

S’il y a une chose que j’aurais pu croire acquise pour toujours, c’est le caractère tempéré de ma Bretagne natale, en particulier à Brest, la ville où j’ai grandi, dans laquelle il a fallu attendre l’hiver 54 et ses rigueurs, touchant la France entière, pour que je voie de mes yeux tomber une neige s’attardant quelque peu sur un sol gelé. De même, je confesse avoir plaisanté plus d’une fois sur ce que nous appelions, bien avant la chanson de Joe Dassin, l’été breton, dès que la température franchissait brièvement la barre symbolique des vingt degrés.

Il faut pourtant se rendre à l’évidence. S’il n’a pas neigé à Port-au-Prince, le temps est bel et bien sens dessus dessous, et le Finistère, comme le reste de l’arc atlantique, s’apprête à vivre sa journée la plus chaude de tous les temps. Le précédent record de 35 degrés et des brouettes, établi en 1949, devrait être pulvérisé aujourd’hui, puisqu’on attend jusqu’à 40 degrés à Brest, sous un abri qui devrait être difficile à trouver. Si l’on voulait une démonstration éclatante du réchauffement climatique, on n’aurait pas pu trouver symbole plus explicite. D’autant plus que vole en éclat une autre image de la Bretagne, réputée très humide, au point de créer l’expression de « Brest, pot de chambre de la France », alors que tous les Bretons vous le diront, « en Bretagne, il ne pleut que sur les cons ». Eh bien, même la pluie n’est plus une valeur sûre et la sécheresse sévit en Bretagne comme ailleurs, au lieu d’être simple prétexte à compenser une déshydratation imaginaire, exprimée sous la forme : « l’air est sec, ici, tu trouves pas, Fanch » ? »

Mais trêve de plaisanterie, c’est quand même surréaliste de constater que plus des deux tiers des départements sont placés en vigilance à la canicule, soit rouge, soit orange, et que des épisodes de cette nature sont à prévoir de façon toujours plus rapprochée. Il y aura nécessairement une surmortalité associée à cette élévation de température, malgré la sensibilisation de la population. Un deuxième risque est lié au développement exponentiel des incendies, qui, pour l’instant, et grâce au travail admirable des pompiers, professionnels et bénévoles, n’a entraîné aucune perte humaine. Je peux vous prédire, sans grand risque de me tromper, que dès la fin de l’été, et peut-être même avant, une polémique va éclater sur le degré d’équipement dont disposent les services publics. Le problème est masqué par la mutualisation des moyens à l’échelle du pays, et même à celle de l’Europe, mais on ne va pas tarder à se rendre compte que le code a changé, et que la flotte de canadairs et autres bombardiers d’eau, que le monde nous a enviée dans un passé récent, n’est plus suffisante pour maîtriser la situation en cas de feux multiples. Là aussi, le rouge est mis.