Les vivants et les morts

La France s’apprête à célébrer la mémoire des marins sauveteurs en mer des Sables-d’Olonne, disparus en tentant de porter secours à un pêcheur en détresse pendant la tempête Miguel. Le président de la République va remettre jeudi à ces trois courageux volontaires la Légion d’honneur à titre posthume, une distinction qu’ils méritent amplement, surtout si l’on songe que la Nation l’accorde à des personnalités très diverses, y compris à ceux dont le principal titre de gloire consiste à courir derrière un ballon, en étant grassement payé pour cela.

Que ces personnes reçoivent l’hommage national me parait tout à fait justifié, mais je m’étonne que les membres survivants de l’équipage, qui se sont engagés avec tout autant de détermination, de bravoure et d’héroïsme, ne soient pas eux aussi distingués. Et l’on peut étendre la reconnaissance qui leur est due à tous ces anonymes, qui portent secours à ceux qui en ont besoin, quelles que soient les circonstances qui les aient plongés dans l’embarras. Quand on connait l’état des finances de la SNSM, et les conditions périlleuses dans lesquelles ses 8 000 bénévoles tentent d’assurer leur mission, on se dit que l’état pourrait faire un geste et ne pas se contenter du symbole, même s’il est nécessaire.

Dans un tout autre ordre d’idées, après des cérémonies du souvenir liées au débarquement des troupes alliées sur les plages de Normandie, où beaucoup de soldats ont péri pour que nous puissions vivre en liberté et en démocratie, arrive l’anniversaire du massacre d’Oradour-sur-Glane, village martyr victime des exactions nazies pendant leur retraite. Il est important que les générations qui ont succédé à celle de la guerre soient informées de ces barbaries pour éviter qu’elles se reproduisent. Je reste cependant surpris que l’on célèbre ici aussi les morts et que l’on se désintéresse ouvertement des vivants, et notamment ceux qui ont besoin de notre aide, urgente et immédiate. Voilà trois mois que les personnels paramédicaux des services d’urgence se sont déclarés en grève pour dénoncer une situation de saturation des hôpitaux qui s’aggrave régulièrement depuis des dizaines d’années. Il aura fallu que les infirmiers et les aides-soignants sortent de leur invisibilité en ne se contentant plus de porter des brassards, mais en obtenant des congés de maladie, pour obliger les autorités « compétentes » à prendre leurs revendications en compte. En théorie, du moins, car le pouvoir applique sa stratégie habituelle : poudre aux yeux, effets d’annonce, culpabilisation des intéressés, à la fois professionnels et patients, qui n’auront jamais mieux mérité leur nom. Faudra-t-il attendre que les vivants gênants deviennent des morts présentables pour se décider à leur accorder l’attention à laquelle ils ont droit ?