La méprise et le mépris

En parcourant d’un œil un peu distrait le flux d’informations quotidiennes dans lequel je puise le sujet de ces chroniques matinales, j’ai relevé la mention d’un départ volontaire de Gérald Darmanin, le ministre mis en cause dans une affaire de viol. Tiens, me suis-je dit, cette personne aurait donc retrouvé une sorte de dignité humaine, un respect de lui-même et de sa fonction qui le pousserait à présenter sa démission à titre conservatoire. Mieux vaut tard que jamais. Et mieux vaut partir volontairement qu’être tenu de le faire après une mise en examen.

Après tout, Tariq Ramadan, islamologue réputé, mais qui n’a pas l’oreille de la République en marche, devra s’expliquer à l’issue de sa garde à vue sur des accusations similaires, contre lesquelles il a lui aussi déposé une plainte pour dénonciation calomnieuse. Si la justice est la même pour tous, et bien que présumé innocent, le ministre pourrait être déféré à son tour devant la juridiction compétente. Oui, mais non ! le ministre a d’autres chats à fouetter. Le départ volontaire en question, ce n’est pas le sien, mais celui de 120 000 fonctionnaires, des volontaires désignés d’office comme il est d’usage, dont on attend qu’ils libèrent la place pour la confier à des contractuels, plus malléables parce que plus précaires, taillables et corvéables à merci, révocables à tout moment, et libérés à jamais des funestes idées syndicales, reliquat de l’ancien régime enfin révolu.

Mais comment pousser dehors des fonctionnaires qui ont accepté une rémunération inférieure en échange de la pérennité de leur emploi ? C’est là que réside la beauté de la chose. En les convainquant que l’état va leur pourrir la vie en modifiant leurs conditions de travail, au point qu’ils préfèreront partir d’eux-mêmes dans le cadre d’un plan de départ « volontaire ». On supprimera des postes de travail avec des propositions de reclassement à l’autre bout de la France. On renforcera la pression hiérarchique en instituant la rémunération au mérite, et je fais confiance à l’imagination de nos nouveaux technocrates pour inventer des vexations de nature à dégoûter un maximum de ces fonctionnaires, responsables de tous les maux français. En d’autres termes, l’état employeur invitera ses salariés à choisir entre la soumission et la porte, arguant du fait que la réserve de main-d’œuvre est loin d’être épuisée. La ficelle est tellement grosse que le Président a dû se fendre d’un démenti sur la disparition de la fonction publique, en présentant l’amputation de certains de ses membres comme la seule façon de ne pas laisser mourir l’ensemble du corps social. On préfèrerait l’entendre répondre à Marianne quand elle lui demande : « et mes fonctionnaires, tu les aimes, mes fonctionnaires ? — beaucoup » plutôt que de nous faire le coup du mépris.