Voyous et gentlemen

Jusqu’il y a peu, il existait un certain consensus autour d’une formule utilisée dans le film Invictus retraçant l’histoire de l’équipe de rugby d’Afrique du Sud qui a permis la réconciliation nationale après la fin officielle de l’apartheid. Le football serait un sport de gentlemen pratiqué par des voyous et le rugby un sport de voyous pratiqué par des gentlemen. Mais ça, c’était avant. Quand le rugby était supposé être strictement amateur par opposition au football où de grosses sommes circulaient déjà pour s’attacher les services des joueurs les plus talentueux. La professionnalisation du ballon ovale, si elle n’a pas totalement rattrapé celle du ballon rond, a changé la donne.

Je ne suis pas qualifié pour juger si c’est l’argent qui a corrompu la pratique de ce sport et serait à l’origine des scandales récents dans la pratique du rugby, mais la coïncidence est troublante. Commençons par le dérapage verbal de l’arrière de la sélection de l’équipe de France, Melvyn Jaminet, qui a déclaré sur un réseau social : « le premier Arab que je croise sur la route, je lui mets un coup de casque ». Des propos clairement racistes qui ont soulevé l’indignation générale, dont le joueur a fini par prendre conscience et s’en excuser, spontanément ou non. Il encourt évidemment des sanctions sportives, et la fédération de rugby prendra certainement des décisions dans ce sens, et aussi une condamnation pénale pour ses déclarations tombant sous le coup de la loi. Je n’ai pas vu de réaction particulière de la part de la ministre provisoire de la Jeunesse et des sports, mais je crains le pire au vu de son attitude dans la deuxième affaire du moment concernant le rugby. Elle s’est montrée très prudente, pour ne pas dire plus, en privilégiant la présomption d’innocence des deux joueurs accusés d’avoir frappé et violé une femme en Argentine, là où l’équipe de France se trouve actuellement en tournée.

Sans faire de hiérarchie dans la gravité des faits, force est de constater que cette agression est particulièrement violente. La victime a été frappée sur tout le corps, comme en atteste le constat médical. Les agresseurs présumés nient les faits et leurs avocats vont s’efforcer de démontrer la thèse de « relations sexuelles consenties » en s’appuyant sur les vidéos des caméras de surveillance de l’hôtel. Leur tâche s’annonce pour le moins difficile au vu des blessures infligées à la victime, sans oublier le traumatisme psychologique. Ces affaires font suite à d’autres cas comme celui d’un joueur de pro D2, Ludovic Radosavljevic, auteur de propos racistes à l’encontre d’un adversaire, ou d’autres incidents plus ou moins graves en équipes féminines, amateurs ou de jeunes, qui montrent la profondeur du phénomène. Le temps de la fraternité et de la troisième mi-temps réconciliatrice semble bel et bien révolu.