Chronique d’une mort annoncée

Je dois l’avouer, c’est d’abord l’incrédulité qui a dominé lorsque j’ai appris la mort d’Alexeï Navalny, le principal et presque unique opposant à Vladimir Poutine, qui symbolisait à 47 ans le combat d’une partie du peuple russe contre la propagande massive du régime. Si l’on considère froidement la situation, ce qui frappe, serait plutôt la survie de cet homme si courageux qu’il en paraissait indestructible. Après avoir échappé miraculeusement à une tentative d’empoisonnement par l’intermédiaire de ses sous-vêtements, Alexeï Navalny savait qu’en rentrant dans son pays il s’exposait à plusieurs dangers. En premier lieu celui de subir une justice expéditive, à la solde du pouvoir, qui n’a d’ailleurs pas manqué de l’expédier dans des camps « à régime sévère » destinés à tuer à petit feu toute contestation.

Si le pouvoir perdait patience, rien ne l’empêchait non plus de hâter les évènements, en exécutant purement et simplement l’opposant, quitte à faire passer sa mort pour une sorte d’accident, un peu comme dans l’exécution en 2006 de la journaliste dissidente Anna Politkovskaïa, un meurtre mis sur le dos de sous-fifres mafieux. On a pu croire un moment que la fin était proche et programmée quand la famille a perdu toute trace de lui, avant d’être finalement informée de son transfert dans le camp pénitentiaire de Kharp, là où son décès a été constaté hier, dans des circonstances qui restent à élucider, et qu’on ne connaîtra peut-être pas de si tôt. Pour l’opinion internationale, le coupable est évident, et les dirigeants ne prennent pas de gants pour désigner le commanditaire. Il ne peut s’agir que du maître du Kremlin, qu’il ait sciemment donné l’ordre d’exécution ou non, il n’a à l’évidence pas levé le petit doigt pour sauver la vie de son presque seul opposant.

Selon Emmanuel Macron, cette fuite en avant serait l’indice d’une supposée faiblesse du pouvoir de Vladimir Poutine. Je ne dispose pas des sources d’information sur lesquelles le président français fonde peut-être son opinion, mais j’ai de sérieux doutes sur cette affirmation qui me parait relever de la méthode Coué et du désir de se pousser une nouvelle fois du col, en prenant ses désirs pour la réalité. Là où la position de la France a progressé, c’est dans la dénonciation de l’agression russe en Ukraine, où il désigne clairement le responsable de la situation. Il cesse enfin de ménager le dictateur russe en lui trouvant je ne sais quelles circonstances atténuantes et en appelant à ne pas l’humilier. Il pouvait difficilement faire moins en présence du président ukrainien venu négocier un accord bilatéral avec la France, après celui obtenu avec l’Allemagne. Emmanuel Macron semble avoir enfin compris que la stratégie de l’autocrate russe, dont il n’a jamais fait mystère, consiste à avancer ses pions aussi loin que possible puis de reconstituer ses forces pour continuer, et qu’il ne s’arrêtera que si on l’y contraint par la force.